Le pouvoir symbolique de l’anglais et le premier conflit linguistique au Cameroun

DOI : 10.48649/pshs.340

Résumés

Cette étude se propose de montrer que les conflits linguistiques ne surviennent pas toujours dans des contextes diglossiques. Il peut arriver que les protagonistes ne vivent pas sur le même territoire ou que les langues au cœur des dissensions ne soient pas les leurs. Le premier conflit linguistique au Cameroun est en effet lié à la perception valorisée d’une langue étrangère (l’anglais) par une communauté sociolinguistique. Il a opposé les missionnaires bâlois et les populations de la ville de Victoria au début de la colonisation allemande et a mis en jeu les rapports entre la langue, le prestige social, les identités et les représentations sociolinguistiques. Les Bâlois voulaient introduire le duala à Victoria où l’anglais avait acquis la fonction prestigieuse de langue de l’administration, et les baptistes anglais obligés de céder la place aux Allemands l’utilisaient lors de leurs offices religieux. Les populations de la ville vont s’opposer à cette décision dans la mesure où la connaissance de l’anglais permettait de trouver un emploi rémunéré. D’autres communautés sociolinguistiques seront, directement ou indirectement, impliquées dans le conflit : les Anglais et les Bakweri. Les Anglais pour les possibilités offertes par la connaissance de leur langue, les Bakweri parce qu’ils étaient stigmatisés par les Victoriens, et parce que le duala était proche de leur langue. Victoria nous apprend finalement qu’un conflit linguistique peut avoir pour cause la tentative d’imposition d’une langue sur laquelle pèse le poids des stéréotypes dévalorisants qui stigmatisent un groupe. La communauté sociolinguistique à l’origine de la stigmatisation survalorise une identité qu’elle adosse sur sa cohabitation avec des étrangers perçus comme bienveillants. Elle croit partager avec ceux-ci un destin commun et un mode de vie qui font d’eux une communauté évoluée, contrairement aux bushmen de l’arrière-pays, les Bakweri.

The main purpose of this study is to show that language conflicts do not always arise in diglossic contexts. The protagonists may not live in the same territory, or the languages at the heart of the conflict may not be their own. The first linguistic conflict in Cameroon was linked to the perception of a foreign language (English) by a sociolinguistic community. It pitted Basel missionaries against the people of Victoria at the start of German colonisation and brought into play the relationship between language, social prestige, identities, and sociolinguistic representations. The Baslers wanted to introduce Duala to Victoria, where English had acquired the prestigious position of administrative language, and the English Baptists, forced to give way to the Germans, used it in their religious services. The inhabitants of the town were opposed to this decision, as a knowledge of English meant that they could find paid employment. Other sociolinguistic communities were directly or indirectly involved in the conflict: the English and the Bakweri. The English because of the opportunities offered by knowledge of their language, the Bakweri because they were stigmatised by the Victorians, and because Duala was close to their language. Finally, Victoria teaches us that a linguistic conflict can be caused by an attempt to impose a language that carries the weight of devaluing stereotypes that stigmatise a group. The sociolinguistic community at the origin of the stigmatisation overvalues an identity that it bases on its cohabitation with foreigners perceived as benevolent. They believe that they share a common destiny and a way of life that makes them an advanced community, unlike the Bushmen of the hinterland, the Bakweri.

Index

Mots-clés

Conflit linguistique, diglossie, stéréotypage, tendances identitaires, représentations sociolinguistiques

Keywords

Language conflict, diglossia, stereotyping, identity tendencies, sociolinguistic representations

Index géographique

Cameroun

Plan

Texte

Les conflits diglossiques ont dominé les études, en sociolinguistique, des situations caractérisées par la concurrence entre des langues ou des variétés linguistiques. Ces conflits impliquent, le plus souvent, des communautés sociolinguistiques qui entendent, d’une part, perpétuer et étendre l’hégémonie de la langue ou de la variété dominantes et, d’autre part, défendre leurs identités pour les locuteurs des langues minorées. Ont été très peu étudiées des situations où, à la base du conflit, se trouvent des langues qui ne sont pas celles des protagonistes, comme ce fut le cas à Victoria au Cameroun. L’anglais et le duala opposèrent Bâlois et Victoriens. Les Bakweri se trouvèrent, malgré eux, impliqués.

Des commerçants et administrateurs anglais s’étaient installés sur les côtes camerounaises en 1840. Ils seront suivis par plusieurs missionnaires jamaïcains intégrés à la mission baptiste de Londres. En 1884, les commerçants allemands présents au Gabon signèrent des traités avec des chefs du littoral camerounais et cédèrent les territoires désormais sous leur contrôle au Reich. Le 14 juillet de la même, l’Allemagne établit son protectorat sur lesdits territoires. Devant le fait accompli et malgré l’imminente arrivée du consul Hewlett avec une réponse positive de la reine aux requêtes des chefs duala1, les Anglais seront obligés de capituler. Ils conserveront néanmoins le contrôle de la ville de Victoria, dans la baie d’ambas2, fondée par le missionnaire Alfred Saker en 1858. La principale communauté sociolinguistique de Victoria, les Isubu (ou Isuwu ou Bimbias) parlant la langue éponyme, une langue bantoue du groupe Douala, était alphabétisée depuis l’arrivée de Merrick en 1844 en anglais. Lorsque les Anglais furent obligés de quitter la ville, la Mission de Bâle, en raison de son expérience en Afrique, reprit l’office de la Société missionnaire baptiste britannique en 1886. La mission allemande, de tendance réformée, ne comptait pas perpétuer la politique linguistique de sa devancière. Les Bakweris, installés sur les pentes du mont Cameroun et dans des villages côtiers des alentours, parlaient également une langue du groupe douala, le mopkwe.

L’anglais devait donc sa présence dans la ville à sa prédominance sur les côtes camerounaises grâce au commerce et au christianisme. Par ses usages et ses fonctions, cette langue était perçue par les Victoriens comme prestigieuse. Sa connaissance qualifiait en effet aux emplois d’auxiliaires auprès des Britanniques, donnant aux locaux l’impression que, comme les « Blancs », ils étaient une population évoluée. La Mission de Bâle, après avoir repris l’office de la London Baptist Mission, opta pour le prosélytisme en duala et voulut introduire cette langue à Victoria. Les locaux s’y opposèrent, prétextant qu’elle était proche de la langue des Bakweri, des bushmen (primitifs au sens ethnologique du terme).

Les causes du conflit linguistique entre Victoriens et Bâlois montrent que la perception des langues par une communauté sociolinguistique peut générer des représentations qui la poussent à valoriser son identité et à caricaturer celle d’un autre groupe. Cette réflexion se propose de vérifier cette hypothèse en croisant des sources historiques, anthropologiques, juridiques et politiques. Elle s’ouvre par des précisions théoriques qui nous donnent de justifier le choix de notre démarche heuristique. Nous présentons par la suite la situation sociolinguistique de la ville de Victoria avant 1884 et nous analysons, avant d’ausculter le conflit lui-même, les conséquences du départ des Anglais. Nous tirons enfin les leçons qu’inspirent le premier conflit linguistique au Cameroun.

Les représentations sociolinguistiques en contexte diglossique

Prudent (1981) ou encore Simonin et Wharton (2013) ont dressé des tableaux récapitulatifs assez détaillés des principales étapes du concept de diglossie. Pour ne pas remonter à Mathusalem, nous nous intéressons principalement aux travaux qui font le lien entre les représentations sociolinguistiques et les conflits diglossiques. On les doit, pour une bonne part, à Boyer (1990, 2007, 2021a et b) dont les positions ont été influencées par Bourdieu. Le sociologue aura, de son point de vue, contribué à privilégier un traitement plutôt dynamique des représentations sociales et sociolinguistiques. Il considérait en effet la langue, le dialecte ou l’accent comme des réalités linguistiques, fruits de représentations mentales, c’est-à-dire d’actes de perception et d’appréciation, de connaissance et de reconnaissance, où les agents investissent leurs intérêts et leurs présupposés. Bourdieu a également insisté sur la dimension polémique, agressive des attitudes, des préjugés et des stéréotypes, sur les enjeux des processus d’évaluation, donc de stigmatisation (Boyer, 1990 : 105 ; 2017 : 62-63).

Boyer (1990 : 105) voit chez lui une attention toute spéciale pour les dynamiques des représentations. En sociolinguistique, elles peuvent permettre de comprendre l’objet ou le produit d’une intervention consciente, individuelle ou collective, spontanée ou institutionnalisée. Par exemple, les corrections que les locuteurs s’imposent ou qu’on leur impose (dans la famille ou à l’école) en partant des connaissances pratiques, partiellement enregistrées dans le langage même (accent pointu, marseillais, faubourien, etc.), les rapports entre les différences linguistiques et les différences sociales. Boyer (1990 et 2007) illustre son propos en s’appuyant sur les conflits diglossiques en Catalogne et dans l’espace occitan, où les sociolinguistes locaux se sont employés à dénoncer les idéologies diglossiques, et revient sur les exemples du Paraguay et de la Suisse alémanique évoqués par Prudent (1981).

Trois moments significatifs caractérisent le traitement sociolinguistique des représentations de la diglossie franco-occitane selon Boyer (1990 : 108-111) : l’analyse du désignant « patois », l’étude du fonctionnement ethnotypique et l’approche des phénomènes d’hybridation baptisés « francitan » par les occitanistes eux-mêmes. S’agissant du désignant « patois », il relève qu’on a considéré, pour placer les linguistes français devant leurs responsabilités en matière d’idéologies linguistiques, que le terme était « exclusivement français », « uniquement français » et « emprunté au français par les autres langues ». Car son emploi s’inscrit dans un processus de « dépréciation sociale » influencée par l’idéologie linguistico-culturelle de l’unité nationale et de la domination d’une culture formalisée3. L’ethnotype, considéré comme une représentation fossilisée comportant un certain nombre de traits (relativement stable) stéréotypés, renvoie à la fois à la langue et au non verbal. Il en est de la popularisation de la figure burlesque du capitaine gascon (un « matamore ») au XVIe siècle. Le « francitan », qui dénote le métissage linguistique (français + occitan), n’a pas pu occulter le conflit diglossique. Il a plutôt engendré une polémique même s’il finira par être accepté et que le concept fera l’objet de diverses études sur ses fonctionnements phonétiques, lexicaux et grammaticaux.

Pour analyser le conflit diglossique, Boyer (2007 : 39) a également convoqué la notion de « stéréotypage ambivalent » dont l’étude ne peut ignorer la prise en compte des représentations sociolinguistiques. Celles-ci constituent ce qu’il appelle l’imaginaire de la/des langue(s) en usage et des attitudes induites, lesquelles se traduisent dans des opinions et des comportements (verbaux et non verbaux), qui peuvent aller de l’activité épilinguistique la plus ordinaire jusqu’aux interventions glottopolitiques les plus sophistiquées (campagnes de promotion d’une langue, élaboration d’une législation en matière linguistique et éducative…). Le stéréotypage est alors présenté comme un processus de figement représentationnel important au sein de l’imaginaire communautaire de la/des langue(s), le stéréotype comme une structure sociocognitive réductrice par excellence, résultat d’une représentation efficace, consensuelle, stable.

Le conflit diglossique, écrit Boyer (ibid. : 39-40), nait d’une situation de coexistence concurrentielle inégalitaire des langues dans un même espace sociétal. Une langue dominante tend à supplanter des domaines communicationnels publics (écrits en premier lieu) une langue dominée, ce qui aboutit à la minoration de cette dernière. Un état de minorisation susceptible, à plus ou moins long terme, de la faire disparaître, si la dynamique conflictuelle de la diglossie se développe sans résistance. Le jeu des représentations devient alors décisif dans une telle situation, surtout pour occulter sa nature conflictuelle. La diglossie peut être idéologisée dans la mesure où face à une représentation ouverte et valorisante de la langue dominante, la représentation de la langue dominée tend à se maintenir sous la forme de deux stéréotypes opposés (mais solidaires), l’un positif, l’autre négatif. Ce stéréotypage dit ambivalent au sein de l’imaginaire communautaire des langues en présence, associé à une dualité des attitudes-préjugés, est l’indicateur principal du caractère conflictuel d’une configuration linguistique de type diglossique.

La configuration sociolinguistique de Victoria avant 1884

La ville de Victoria a été fondée par le missionnaire anglais Alfred Saker dans une zone baignée par le golfe du Biafra sur le flanc sud du mont Cameroun (Ngoh, 1996 : 68-69). On lit chez Messina et Slageren (2005 : 85) comme chez Abwa (2010 : 41) qu’après que les autorités espagnoles eurent repris possession de leur colonie de Fernando Póo4 en 1858, Saker dut s’y rendre. La puissance coloniale avait en effet décidé que la seule religion de cette colonie serait catholique romaine. Le missionnaire se résolut à accepter l’indemnisation qu’on lui proposait et avec cet argent, il acquit un terrain du King William 1er (roi des Isubu) dans la baie d’Ambas à laquelle il donna le nom Victoria (en hommage à la reine Victoria sur le trône d’Angleterre).

Avant Saker, Merrick avait, au début de l’année 1844, obtenu du même chef l’autorisation d’établir une église à Bimbia, non loin du site de la future ville de Victoria, et s’était consacré à la traduction du Nouveau Testament en langue Isubu (Ngoh ibid. : 352). Il y avait ouvert une école, monté une presse d’imprimerie qui servit à imprimer ses traductions de la Bible et celles d’Alfred Saker. À Bimbia, le climat exposait les missionnaires à des maladies mortelles. Certains survivants choisirent de retourner en Jamaïque et malgré sa témérité, Merrick fut contraint au repos. Il embarqua pour l’Angleterre en octobre 1848, mais rendit l’âme en mer au mois de décembre5 (Slageren, 1972 : 21).

Joseph Jackson Fuller qui l’avait rejoint à Bimbia en 1844 devait poursuivre seul le travail missionnaire, assurer le fonctionnement des écoles et de l’imprimerie. Avec l’affectation de Fuller à Douala en 1858, l’Église de Bimbia fut annexée à celle de Victoria qui devint un centre de rayonnement de la culture anglaise. En plus de l’église et des écoles tenues par les missionnaires jamaïcains et anglais (soutenus par les premiers chrétiens camerounais), la colonie anglaise y prospéra également grâce aux règles établies par Alfred Saker (Ngoh, ibid. : 69). L’isubu ou bimbia y côtoyait l’anglais, le duala n’étant présent qu’à travers des traductions de la Bible. Après la signature du traité germano-douala le 12 juillet 1884, les Anglais conservèrent Victoria et l’on dut engager des négociations pour décider du sort de la ville et des églises locales. En octobre 1885, la London Baptist Mission (Mission baptiste de Londres) accepta de céder sa place à la Mission de Bâle. Après d’autres arrangements entre les deux missions, assistées par les gouvernements anglais et allemand, Victoria fut officiellement transféré aux Allemands le 31 janvier 1887 (Ngoh, ibid. ; 70-71).

Les conséquences du départ des Anglais sur le plan linguistique

La Mission de Bâle envoya cinq missionnaires à Douala le 23 décembre 18866. L’accord conclu avec la London Baptist Mission prévoyait le maintien et l’indépendance des églises baptistes locales de même que la profession de la foi baptiste (Ngoh, ibid. : 88). Les Bâlois vont plutôt s’appuyer sur leurs propres principes. Ils prescrivaient de défendre le caractère individuel de chaque communauté humaine en permettant, dans le cas d’espèce, aux langues africaines de devenir des langues de l’église et de l’école. Cette conception, Stumpf (1979 : 29-30) l’attribue à Warneck pour qui il fallait, à travers l’action missionnaire, éviter de créer un sentiment d’infériorité chez les Africains. L’on comprend donc que la Mission de Bâle ait retenu des langues camerounaises pour l’évangélisation, la langue étant considérée, par la notion romantique allemande du Volksgeist (esprit du peuple ou génie du peuple), comme élément essentiel d’existence d’un peuple sans laquelle on ne peut avoir aucune manifestation culturelle dans l’esprit national.

Les missionnaires bâlois avaient l’intention de ne pas se servir des écoles pour faire avancer l’œuvre missionnaire, mais ils seront obligés de renoncer à cette approche. Les Africains de l’administration coloniale les encouragèrent à ouvrir des écoles, suivis par Jesko von Puttkamer7 (Stumpf, ibid. : 31). Les Bâlois avaient en outre réalisé que la lecture de la Bible ne pouvait s’apprendre que par l’école, la formation des catéchistes « indigènes » nécessitant une initiation à l’écriture et la lecture. Il se posait alors le problème de la langue. Le duala, « codifié » par Alfred Saker, avait valeur d’une lingua franca sur les côtes du littoral et la Bible avait été traduite en cette langue. Von Soden8 en avait fait la langue d’État du protectorat. Elle était donc la langue de l’instruction et de l’école (Stumpf, ibid. : 32). Les Bâlois acceptèrent de l’adopter comme langue d’évangélisation, une décision prise, relève Stumpf (idem), alors que l’enclave de Victoria faisait encore partie de l’Empire britannique. Elle entrainera le premier conflit linguistique au Cameroun.

La Mission de Bâle, les Victoriens et la question linguistique

Après l’annexion allemande, la ville de Victoria était demeurée, nous l’avons vu, sous contrôle britannique. Les baptistes locaux, malgré la certitude du départ de la mission anglaise, jouissaient d’une très grande liberté. Ce qui n’était pas du goût des Bâlois. Selon Ngoh (op. cit. : 89), ils violèrent les termes du protocole précédemment mentionné dans leur tentative de « purifier » la Native Baptist Church9 alors placée sous l’autorité du pasteur Joshua Dibundu. Les locaux avaient insisté, lors des négociations, pour que seuls les noirs dirigent leurs églises, et pour que leurs missionnaires bénéficient des mêmes privilèges que les Allemands. Les membres de ladite église étaient habitués au baptême par immersion alors que les Bâlois pratiquaient le baptême par aspersion. Les Bâlois s’opposèrent au baptême généralisé des adultes, accusèrent le pasteur Fuller d’avoir baptisé des bigames, et le pasteur Joshua Dibundu d’être polygame de trois femmes. Les missionnaires allemands renvoyèrent des enseignants qui ne connaissaient pas la langue allemande (Ngoh, ibid. : 89).

Faute d’accord entre la Mission de Bâle et la Native Baptist Church, les deux groupes opérèrent séparément. La longue cohabitation avec les Anglais avait en plus fait croire aux Victoriens qu’ils étaient supérieurs aux peuples de l’arrière-pays. Victoria ne voulait pas que les missionnaires bâlois aillent vers les Bakweri autour du mont Cameroun (Stumpf, op. cit. : 33 ; Ngoufo Yemedi, 2014 : 3). De nombreuses autres divergences10 alimentèrent les tensions. Elles culminèrent lorsque le duala fut introduit comme langue d’évangélisation au détriment de l’anglais. Pour les Victoriens, cette langue ressemblait trop à celle des Bakweris. Il était donc hors de question que des « civilisés » parlant anglais puissent l’accepter. Les parents de leur côté insistèrent pour que leurs enfants reçoivent une éducation « civilisée ». Stumpf (idem) tire deux principales observations de la lettre qu’ils rédigèrent, en 1889, en anglais, à la direction de la Mission de Bâle en Suisse : le duala n’est pas leur langue maternelle ; sans connaissance de l’allemand ou de l’anglais, on ne peut pas entrer au service gouvernemental ou de n’importe quelle personne « civilisée ».

Ces observations montrent, pour la première, que des peuples culturellement apparentés, séparés à cause des conflits ou par le fait migratoire, se distinguaient désormais par les langues même s’il ne s’agissait que des variantes et, pour la seconde, que dès cette époque déjà, la pratique d’une langue étrangère procurait des avantages auxquels l’on ne voulait pas renoncer.

On lit chez Stumpf (ibid. : 33-34) que la direction bâloise ne céda pas aux pressions des Victoriens malgré l’avis des membres de la direction favorables à l’introduction de l’allemand. Mais la persistance des tensions poussa le pasteur Wilson, choisi par les baptistes « indigènes » comme leur porte-parole, à maintenir l’anglais à Victoria. Au même moment, l’administration coloniale voulait briser le monopole de transit des Dualas11. De son côté, la mission bâloise s’opposait à l’importation de l’alcool. Les colons s’allièrent aux Victoriens que Wilson désirait gagner pour la langue allemande afin d’amoindrir l’influence du duala. La situation s’améliora très peu vingt-cinq ans après, faisant dire à Stumpf (ibid. : 34) qu’à Victoria en 1889, tous les éléments à la base des frictions entre la Mission de Bâle et l’administration coloniale étaient déjà réunis : volonté des Bâlois de se servir d’une langue africaine, désir des Camerounais d’apprendre une langue occidentale, impopularité des Dualas auprès de l’administration allemande et ingérence gouvernementale dans le choix d’une langue d’enseignement. Au-delà du conflit linguistique, Victoria avait également été l’épicentre de certains conflits identitaires auxquels la postcolonie ne pouvait échapper.

Que retenir du premier conflit linguistique au Cameroun ?

Les Victoriens se seraient-ils opposés aux Bâlois si, à la place du duala, l’isubu avait été introduit dans leurs églises et leurs écoles ? Tout porte à le croire même si parmi les arguments justifiant le rejet du duala figurait celui qui voulait qu’elle ne soit pas leur langue. À défaut de l’anglais, ils étaient prêts à accepter l’allemand. Dans leur imaginaire donc, seule la connaissance de l’une de ces deux langues permettait d’entrer au service gouvernemental ou de n’importe quelle « personne civilisée ». La langue qu’on voulait leur imposer était en plus proche de celle d’un peuple auquel ils avaient attaché un stéréotype dévalorisant. Le plébiscite de l’anglais et les opinions favorables à l’introduction de l’allemand étaient liés à un intérêt.

La langue vaut par ce qu’elle permet de gagner

Stumpf (ibid. : 139) a développé, dans son analyse du conflit linguistique de Victoria, la thèse de « l’argent linguistique » : on apprend une langue pour le gain que l’on escompte au terme de son apprentissage. Les Victoriens avaient le sentiment que la maitrise de l’anglais ou de l’allemand ouvrait le chemin vers un emploi rémunéré. De leur côté, les Bâlois pensaient que pour préserver certains référents culturels des peuples à christianiser, le prosélytisme devait se faire dans leurs langues. L’on avait donc deux visions opposées, inconciliables. La principale cause du conflit dans ce contexte n’est pas le contact des langues dans la mesure où l’anglais, qui avait fini par s’imposer, était en contact avec l’isubu. On peut donc parler d’une cohabitation et d’une concurrence tacite favorables à l’anglais qui, avec l’isubu, devaient se trouver en distribution complémentaire : la première était la langue de l’église, de l’école et de l’« administration », la seconde celle des échanges entre les natifs de la ville.

La survalorisation de l’anglais

L’on ne peut dissocier l’attitude des Victoriens vis-à-vis de l’anglais de la perception qu’ils ont pu avoir des Britanniques. Ils s’étaient installés sur les côtes camerounaises dès 1840 (Cox, 1842 ; Brutsch, 1954 ; Van Slageren, 1972 ; Abwa, 2010). Mveng (1963 : 141-142) défend plutôt la thèse d’un retour qu’il attribue à la campagne antiesclavagiste. Cela laisse supposer qu’ils avaient, auparavant, sillonné le littoral camerounais12. L’on peut donc comprendre que des chefs leur aient réservé un accueil bienveillant et se soient empressés à signer des traités.

Le premier, daté du 10 juin 1840, interdit la traite des esclaves et porte les sceaux de King Akwa et King Bell pour les locaux d’une part, d’autre part ceux de Reginad J S. Levinga, capitaine du brigantin « Buzzard », son second Walter J. Pollard et John Lilley, considéré comme le premier européen à s’établir à Douala. Le traité du 7 mai 1941 est signé par William Simpson Blount (commandant d’un vapeur de Sa Majesté britannique) agissant au nom de la reine, et King Bell de Bell’s Town. Une déclaration anglaise du 25 avril 1842 menaçant de supprimer les indemnités promises au King Bell s’il ne respecte pas les clauses d’abolition est annexée audit traité. Celui du 29 avril 1852 porte sur l’abolition, l’interdiction des sacrifices humains, la liberté religieuse, la protection des missionnaires et la création d’un cimetière chrétien. Il est le plus important et ses nombreux signataires sont, du côté des Anglais : John Beecroft (consul anglais de la baie de Biafra résidant à Fernando Póo), W. A. Ashmall (agent résident), Dan M. Gowan, Jno Waye, Ed. Hamilton et Alfred Saker (missionnaire), du côté des chefs Douala : King Akwa, Dido Akwa, Parrot Akwa, Charley Dido, Jim Kwan, John Angwa et Hawkin Akwa. King Bell le signera le 1er mai 1852.

Si la campagne antiesclavagiste était de nature à créer des mécontentements parmi les principaux bénéficiaires camerounais de la traite, des chefs surtout, elle était avantageuse pour les victimes, plus nombreuses. D’autres traités conclus avec les chefs dualas, qui réglementaient les activités commerciales et religieuses, s’appliquaient à Victoria, comme celui instituant la Cour d’Équité. Depuis le 14 janvier 1856, elle devait arbitrer les conflits entre commerçants de passage et population locale. À Victoria, en revanche, la Cour réglementait la vie de la petite colonie et avait une forme démocratique. Sur ses douze membres, six étaient élus, les autres désignés par le missionnaire en résidence ou par le gouverneur (Mveng, ibid. : 168). Contrairement à Douala où l’anglais s’était néanmoins répandu, les habitants de Victoria étaient alphabétisés en anglais. La ville était donc une sorte d’enclave anglaise sur les côtes camerounaises.

L’on peut déduire, de ce qui précède, que le processus de catégorisation ayant abouti à la survalorisation de l’anglais s’est inspiré des traits attribués aux Anglais. Ils sont antiesclavagistes et s’opposent à toutes les formes de maltraitance ; la réglementation des activités commerciales et la mise en place des mécanismes de règlement des conflits sont à mettre à leur actif13 ; les populations locales peuvent apprendre l’anglais et être employées dans leurs commerces : les Victoriens participent donc à la gestion de leur cité. En plus, les populations locales attachaient un certain prestige à la culture occidentale, considérée comme plus évoluée que la leur, donc à la langue, dont la connaissance leur permettait de s’identifier à des étrangers « bienveillants ». Elles ont donc élaboré un endostéréotype au sens de Salès-Wuillemin (2006) pour valoriser leur identité, et un exostéréotype pour justifier le rejet du duala.

La stigmatisation des Bakweri et du duala

La perception valorisée d’une langue étrangère, pour des raisons socioéconomiques, a poussé les Victoriens à s’opposer à l’introduction d’une langue locale dans leur ville. Cette langue avait le malheur d’être proche de celle d’un peuple qu’ils méprisaient. La source du conflit est donc, en premier lieu, la tentative d’imposition, qui soulève une question sous-jacente : que se serait-il passé si au lieu du duala les Bâlois avaient tenté d’introduire une autre langue camerounaise ? Le conflit est motivé, en second lieu, par un préjugé lié au jeu des représentations opposant les évolués aux bushmen. La perception dévalorisée du duala est motivée par le préjugé qui stigmatise les Bakweris, groupe auquel les Victoriens ont attribué le stéréotype de bushmen. Comme on le voit, ce stéréotype rationalise et justifie le préjugé auquel il est directement relié. Comme le préjugé, écrit Salès-Wuillemin (2006 : 17), le stéréotype suppose une source et une cible, il est arbitraire, c’est-à-dire attribué aux individus parce qu’ils font partie d’un groupe social, consensuel (partagé par un grand nombre d’individus) ; il peut viser le groupe lui-même (endostéréotype), les autres groupes sociaux (exostéréotypes) et réduire le groupe visé à une série de traits sans prendre en compte les disparités à l’intérieur du groupe (il résulte de ce fait d’un biais d’assimilation) ; il est opérant dans la mesure où il dresse, en quelques traits, un portrait opérationnel du groupe cible et est supposé permettre aux sujets de savoir quelle conduite tenir face à la cible. La stigmatisation qui pesait sur les Bakweri avait donc fini par affecter une langue autre que la leur. Le duala avait simplement eu le malheur de partager certaines caractéristiques avec celle du groupe ciblé.

Conclusion

Le premier conflit linguistique au Cameroun met finalement en jeu les rapports entre langue et identité, les conflits identitaires et leurs effets sur la cohabitation des communautés sociolinguistiques dans un ensemble national. Il inspire de nombreuses leçons s’agissant des origines, des motivations et des conséquences des conflits linguistiques. Ils ne naissent pas toujours en contexte diglossique, ne peuvent être liés ni à l’imposition ni au contact des langues et il peut arriver que l’élément déclencheur soit une langue autre que celle des protagonistes du conflit. Enfin, sans le vouloir, une communauté linguistique étrangère au conflit peut se trouver impliquée. Un autre facteur important intervient : les imaginaires sociodiscursifs au sens de Charaudeau (2007). Elles découlent des représentations sociales et engendrent des tendances identitaires verbalisées à travers des stéréotypes. Victoria présageait déjà les difficultés auxquelles sera confronté le Cameroun postcolonial dans sa quête de l’ethnolyse. Elles vont finalement, malgré la constitutionnalisation de l’unité et de l’indivisibilité de l’État-nation, pousser à la reconnaissance du caractère multiethnique, pluriculturel et plurilingue de la nation. Une nation dont les composantes se désignent par des alternymes qui dénotent la sympathie, la distance ou la stigmatisation (Abouna, 2020).

1 Dès 1864, des chefs des principaux villages situés près de l’estuaire du Wouri avaient pris l’initiative d’écrire à la reine Victoria. Stumpf (1979 

2 Située dans le golfe de Guinée, au sud du mont Cameroun.

3 Gardy et Lafont que cite Boyer (1990 : 109) relèvent, au sujet de l’analyse du terme « patois », qu’il traduit la situation de non-pouvoir d’une

4 Cette île, dont la « découverte » est attribuée au navigateur portugais qui lui donna son nom, passa respectivement sous contrôle hollandais et

5 Ngoh (1996 : 352) soutient plutôt qu’il est décédé le 22 octobre 1859 sur le même itinéraire.

6 Parmi ceux-ci figuraient Rothman, Bonher et Binetsch (Ngoh, ibid. : 88).

7 Ce fonctionnaire colonial fut commissaire de l’empire au Togo (1887) et gouverneur du Cameroun de 1895 à 1907.

8 Gouverneur du Kamerun de 1885 à 1891.

9 En 1855, Saker consacra Thomas Horton Johnson et le plaça à la tête de l’Église de Bethel à Douala, qui comptait quelque cinquante membres, rendant

10 Elles étaient alimentées par l’opposition des missionnaires au commerce de brandy et le refus des Victoriens du travail agricole.

11 L’on s’efforçait de les évincer comme intermédiaires avec l’arrière-pays. Ce qui diminuait leurs richesses et leur influence. À ce que Stumpf (1979

12 On lit chez Mveng (1963 : 161) que les Anglais avaient, de 1650 à 1675, tenté de déloger les Néerlandais sur les côtes africaines. Ils surent

13 Zang Zang (2013) et Assipolo Nkepseu (2017) ont rapporté les propos de Merrick qui observait qu’à Douala, avant la signature des traités

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Notes

1 Dès 1864, des chefs des principaux villages situés près de l’estuaire du Wouri avaient pris l’initiative d’écrire à la reine Victoria. Stumpf (1979 : 21-22) estime que par leurs requêtes, ils voulaient se mettre sous la protection de la Grande-Bretagne par crainte du danger « Malimba », le principal enjeu étant le monopole de la traite entre la côte et l’arrière-pays.

2 Située dans le golfe de Guinée, au sud du mont Cameroun.

3 Gardy et Lafont que cite Boyer (1990 : 109) relèvent, au sujet de l’analyse du terme « patois », qu’il traduit la situation de non-pouvoir d’une langue dominée, qui n’existe pas en tant que langue, qui n’est pas en mesure de remplir toutes les fonctions dévolues à la langue dominante. La langue dépréciée n’a plus de position géographique, mais une simple position socioculturelle. Elle devient donc un vernaculaire réservé à certaines situations, en un lieu donné généralement très réduit, en marge de la langue dominante, qui l’englobe et la dépasse de tous côtés.

4 Cette île, dont la « découverte » est attribuée au navigateur portugais qui lui donna son nom, passa respectivement sous contrôle hollandais et espagnol. La présence des missionnaires jamaïcains et anglais y est signalée dès 1840. Fernando Póo était, jusqu’à leur éviction, une importante base et une escale sur la route vers les côtes camerounaises.

5 Ngoh (1996 : 352) soutient plutôt qu’il est décédé le 22 octobre 1859 sur le même itinéraire.

6 Parmi ceux-ci figuraient Rothman, Bonher et Binetsch (Ngoh, ibid. : 88).

7 Ce fonctionnaire colonial fut commissaire de l’empire au Togo (1887) et gouverneur du Cameroun de 1895 à 1907.

8 Gouverneur du Kamerun de 1885 à 1891.

9 En 1855, Saker consacra Thomas Horton Johnson et le plaça à la tête de l’Église de Bethel à Douala, qui comptait quelque cinquante membres, rendant de ce fait possible le passage du statut d’Église missionnaire à celui d’Église autochtone : ainsi naquit la Native Baptist Church.

10 Elles étaient alimentées par l’opposition des missionnaires au commerce de brandy et le refus des Victoriens du travail agricole.

11 L’on s’efforçait de les évincer comme intermédiaires avec l’arrière-pays. Ce qui diminuait leurs richesses et leur influence. À ce que Stumpf (1979 : 71) considère comme une humiliation économique, s’ajoutera plus tard l’humiliation politique : les « rois » perdirent la jurisprudence sur les ethnies non Duala. En réponse à leur pétition adressée au Reichstag le 19 juin 1905, on considéra qu’ils étaient paresseux et parasitaires, menteurs, orgueilleux et rusés, le monopole de transit n’étant pas considéré comme un travail du moment où il s’agissait des Africains.

12 On lit chez Mveng (1963 : 161) que les Anglais avaient, de 1650 à 1675, tenté de déloger les Néerlandais sur les côtes africaines. Ils surent résister. Mais les rivalités anglaises reprirent après la perte du monopole de la nouvelle Compagnie des Indes occidentales dès 1732, créée pour remplacer l’ancienne compagnie lorsque les affaires baissèrent. La nouvelle compagnie fermera ses portes en 1791, après la guerre d’indépendance des États-Unis et la Révolution, laissant le champ libre aux puissances qui convoitaient ses positions.

13 Zang Zang (2013) et Assipolo Nkepseu (2017) ont rapporté les propos de Merrick qui observait qu’à Douala, avant la signature des traités réglementant les activités commerciales, les populations locales souhaitaient apprendre l’anglais pour devenir meilleurs commerçants et ne plus se faire tromper.

Citer cet article

Référence électronique

Laurain Assipolo, « Le pouvoir symbolique de l’anglais et le premier conflit linguistique au Cameroun », PasserelleSHS [En ligne], 3 | 2025, mis en ligne le 17 décembre 2024, consulté le 10 mars 2025. URL : https://ouest-edel.univ-nantes.fr/passerelleshs/index.php?id=340

Auteur

Laurain Assipolo

Université de Douala.
Laurain Assipolo est titulaire d’un doctorat en linguistique française (option sociolinguistique) obtenu à l’université de Yaoundé I. Il est chargé de cours au département de français et études francophones à l’université de Douala. Ses principaux domaines de recherche sont la variation linguistique, les représentations sociolinguistiques et les politiques linguistiques.

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