Faire de l’intersectionnalité une « cause » : l’émergence d’une communauté d’action sur le web

DOI : 10.48649/pshs.225

Abstract

Cet article – issu d’un travail de thèse – cherche à comprendre comment des individus arrivent à construire un engagement collectif en utilisant des supports numériques. Nous étudions un groupe de 33 acteurs ayant décidé de créer des médias qui se revendiquent comme inscrits dans une démarche intersectionnelle. L’article démontre que ces acteurs développent un collectif par l’extrapolation du personnel. Ce sont des individus – ou des petits groupes – qui vont construire un espace commun sur le web, sans jamais revendiquer la position de porte-parole ou de leaders d’un groupe structuré. Favorisés par l’élargissement de l’espace public numérique, leurs usages des plateformes de réseaux sociaux donnent à voir la naissance d’une « communauté d’action » : entre expression individuelle et collective, expérience intime et sociale. Cette communauté se fait surtout visible par les pratiques solidaires qu’elle met en place de façon informelle, éphémère et fragile.

Index

Mots-clés

usages du numérique, usages des TIC, action collective, plateformisation, production des savoirs, intersectionnalité

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Text

À tour de rôle, militants, décideurs, chercheurs et individus « ordinaires » (Babeau, 2014) s’approprient des plateformes de réseaux socionumériques (RSN) pour formuler des problèmes, susciter de l’intérêt, dans l’objectif d’imposer de nouvelles interprétations des phénomènes sociaux et politiques. Terrain fertile, le web offre une superficie sur laquelle rendre publiques des idées, fédérer des alliés et organiser une action collective par le bas. Ainsi, différents acteurs diffusent et stabilisent des croyances, des expériences et des savoirs, en ayant souvent l’intention affirmée de recadrer le débat et réparer des injustices (Boltanski et Thévenot, 1991). Pour cela, ils font appel à une diversité de formats, plateformes et supports : blogs, chaînes vidéo, podcasts, pages et profils sur les réseaux socionumériques. Autrement dit, de manière générale, des acteurs créent des espaces numériques et médiatiques afin de porter une expression politique personnelle. Ils s’associent, tissent des liens et surmontent ensemble des épreuves (Hennion, 2015).En suivant des acteurs, qui se revendiquent dans une « démarche intersectionnelle », cet article porte sur la construction d’une cause collective par le biais d’Internet. De quelle manière des individus arrivent-ils à construire un engagement collectif en utilisant des supports médiatiques et numériques ? Nous entendons que l’intersectionnalité, concept fabriqué par la juriste Kimberlé Crenshaw, dans les années 1990, est un objet privilégié pour illustrer la manière dont un savoir académique franchi les frontières des SHS pour devenir une cause politique sur et avec RSN.

Tout d’abord, revenons sur le caractère scientifique de l’intersectionnalité qui regroupe – au moment de sa formalisation – différents acteurs, lieux et contextes (géographiques, scientifiques et politiques). L’intersectionnalité est façonnée par Kimberlé Crenshaw comme la réponse à des problèmes précis : la précarité des conditions matérielles des femmes noires, que cela soit au travail (1989) ou dans les rapports de violence domestique (1991). Au croisement de plusieurs disciplines, ce concept sert à nommer des situations ou des vécus personnels et devient en SHS un outil d’analyse du monde social. Il est désormais utilisé en tant qu’approche théorique féministe dans le but d’envisager les rapports sociaux comme étant indissociables et d’articuler le genre à d’autres rapports de pouvoir, comme la classe, la race, la religion, l’âge, le handicap (Lépinard et Lieber, 2020, p. 99-109). En France, l’intersectionnalité devient un adjectif : elle sert à qualifier ou disqualifier des actions ou prises de parole qui seraient peu, assez ou trop intersectionnelles. Elle devient ainsi un sujet hybride sur le web, traversant et traversé par les frontières entre technique, société et politique. Elle interroge la construction du savoir, et la manière dont les espaces militants et académiques se nourrissent mutuellement. En ce sens, le concept est une controverse, il déstabilise l’ordre existant et les rapports de force (Méadel, 2018, 2020). Tout au long de cette publication, le terme « concept » est employé comme un synonyme d’intersectionnalité. Nous proposons ainsi d’envisager l’intersectionnalité en tant que concept ; mais pour exister, ce concept associe des savoirs scientifiques, militants et politiques.

Après un an de terrain, nous avons identifié un groupe de 33 acteurs qui ont en commun le fait de prendre la parole de façon structurée sur les plateformes numériques et de se positionner sur l’intersectionnalité en tant que producteurs indépendants de contenus1. Nous avons choisi d’utiliser « acteurs »2 pour les désigner, car ce sont des individus autonomes et capables de s’adapter aux circonstances et d’inventer de nouvelles fonctions (Dubar, 2007). La spécificité de notre objet d’étude provient du fait qu’ils se construisent autrement : sans support organisationnel, c’est une personne ou un tout petit groupe qui est responsable de la création des blogs, chaînes vidéo, podcasts, pages, profils et comptes, que ces acteurs entretiennent sur des plateformes comme Twitter, Instagram, Facebook, YouTube, SoundCloud et WordPress, pour ne citer que les plus utilisées. Ces acteurs ont recours à une diversité de formats et de supports, mais tous ces espaces sont dédiés à un même intérêt : le fait de mobiliser l’intersectionnalité en tant qu’outil d’analyse pour comprendre les faits sociaux et pour produire de l’information. Au total, nous avons analysé 189 espaces, pages et comptes. Notre hypothèse est qu’avec des actions multiples, ils cherchent à construire un espace commun – que nous appelons « communauté d’action » – afin de coordonner et d’articuler leur rapport au public, leurs actions et leurs messages.

Nous entendons la production de contenus de ces acteurs comme médiatique puisqu’ils utilisent une technique pour produire du sens et leur support a pour finalité la diffusion et la vulgarisation de l’information ; ce sont les intermédiaires dans une démarche de transmission qui vise un public (Rieffel, 2005, 2015). Les médias sont entendus ici comme « un ensemble de techniques et de transmission de messages », mais également en tant « qu’organisation économique, sociale et symbolique » (Rieffel, 2010, p. 124). Après avoir confronté les spécificités des acteurs du terrain aux différents concepts et notions utilisés actuellement par d’autres chercheurs, nous nous sommes rendu compte que ces acteurs ne correspondent pas complètement aux catégories alternatives (Atton, 2002), oppositionnelles (Negt, 2007), communautaires et populaires (Suzina, 2018), automédiatiques (Thiong-Kay, 2020), sans pour autant s’en différencier complètement. Hétérogènes, ils ont tout de même trois traits communs. Premièrement, ils cherchent une autonomie, car ils construisent leur discours en opposition avec les opérateurs médiatiques traditionnels. En revanche, cette autonomie est une position de principe, elle est en effet difficilement atteignable sur des RSN régis par des règles commerciales et algorithmiques. Deuxièmement, ces objets médiatiques sont majoritairement portés par des individus (ou de tout petits groupes) qui fabriquent des espaces médiatiques, sur différents formats et plateformes. Troisièmement, ils réclament une autonomie vis-à-vis des règles du marché et affichent des indicateurs de performance faibles (nombre d’abonnés, de vues, d’accès…). Ainsi, pour les désigner, nous avons choisi le terme de MicroMultiMédias (MMM), afin de mettre l’accent sur le caractère marginal, réfractaire et rétif de ces objets, tout en pointant leur nature médiatique, multiplateforme et à bas bruit. Nous pouvons organiser ce terrain composé de 33 acteurs et de 189 pages, profils et comptes en 29 MMM – des acteurs-réseaux qui deviennent l’objet de notre analyse (tableau 1).

Tableau 1 : Récapitulatif du terrain3

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Du point de vue méthodologique, cette enquête qualitative combine deux démarches complémentaires : la Virtual Ethnography (Hine, 2015) et les Digital Methods (Rogers, 2013). Les analyses sont ainsi basées sur un corpus composé de quatre matériaux : les textes de présentation des 189 comptes, profils et pages ; les indicateurs de performance (nombre d’abonnés, de mentions « j’aime », de commentaires) ; 23 entretiens semi-directifs avec 25 acteurs4 ; et les annotations personnelles portant sur des observations en ligne et hors ligne, entre 2018 et 2021. En nous intéressant aux conditions de traduction et de circulation du concept sur le web, l’intersectionnalité sort de sa position d’objet « qui sert à expliquer le monde social » pour devenir l’objet même de l’investigation. Ainsi, dans cette enquête, issue d’un travail de thèse en Sciences de l’information et de la communication, ce ne sont pas les appartenances (supposées ou réelles) à des catégories identitaires et à des groupes politiques qui réunissent les acteurs ici observés, mais leurs pratiques et usages des RSN. Nous avons adopté cette posture méthodologique, car ces acteurs refusent de rester dans la position « d’objet » et cherchent à se consolider en tant que « narrateur-protagoniste » de leurs propres trajectoires (Kilomba, 2019). Cette approche devient possible par l’articulation de trois courants de la sociologie : pragmatique (Lemieux 2018, Barthe et al. 2013), de la traduction (Akrich, Callon, Latour, 2006) et de l’usage (Jouët, 2000, Proulx, 2020). Selon Jérôme Denis (2009), en faisant dialoguer ces trois courants sociologiques, le chercheur s’attache « à suivre des personnes dans leurs déambulations au sein d’un espace d’activités hétérogènes. » L’observateur peut alors porter son attention sur les différentes « rencontres » qui sont faites avec des humains ou des non-humains et comprendre les modalités précises de leur accomplissement (routine, rupture, changements de registres, adaptations).

Pour répondre à notre problématique, la suite du texte est organisée en deux parties. Premièrement, nous revenons sur la manière d’appréhender l’action collective autour de l’intersectionalité sur le web. Pourquoi parlons-nous de « communauté d’action » et pas de « mouvement » ou « d’espace » ? Malgré l’évidence que le terme « féminisme intersectionnel » a gagné ces dernières années, nous revenons sur le caractère individualiste des acteurs, qui ont du mal à former un collectif de manière formelle. Deuxièmement, nous étudions les pratiques qui rendent visible la façon dont ces acteurs s’auto-organisent et s’auto-régulent, en faisant appel aux « pratiques solidaires » que les RSN facilitent.

Faire collectif par l’extrapolation du personnel

Une simple requête sur des moteurs de recherche nous amène rapidement à une multiplicité d’articles qui cherchent à expliquer ce qui constituerait le féminisme intersectionnel. Tout d’abord, on retrouve des figures publiques qui se réclament d’un « féminisme intersectionnel ». C’est le cas, par exemple, de la journaliste Lauren Bastide, auteure du podcast La Poudre, qui estime « compliqué de porter un féminisme qui ne soit pas intersectionnel »5. Le terme sert à faire la distinction avec un féminisme qui serait « universaliste », « blanc » ou « hégémonique ». Dans un sens contraire, Martine Storti a publié Pour un féminisme universel6. La journaliste et philosophe fait appel à la solidarité entre femmes : « L’universalité de la domination masculine exige un féminisme universel »7. Dans un autre groupe de publications, on retrouve l’intersectionnalité comme une « nouveauté » ou une « tendance » qui ne serait pas une exclusivité du mouvement féministe. Têtu publie un article pour faire la promotion d’une Pride intersectionnelle8 qui regroupe à Paris des personnes LGBTQI+ « défavorisées et racisées ». Enfin, dans un troisième groupe d’articles, c’est l’idée de danger qui est évoquée, dans le sens où un féminisme intersectionnel – comme le décolonialisme et/ou le wokisme – porterait préjudice à la France. L’entretien du président de la République au magazine Elle en est un exemple9 : il considère que « la logique intersectionnelle fracture tout ». Ces exemples sur les prises de parole dans les médias sont génériques et assez globalisants, mais ils montrent l’existence à première vue d’un « féminisme intersectionnel » ; ou qui se réclame comme tel. Nous constatons bien une circulation sans frontières du concept. Il est mobilisé par différents groupes d’individus (féministes, LGBTQI+, syndicats), qui ne forment pas pour autant un bloc homogène qui lutterait contre toutes les oppressions en même temps.

Peut-on parler de « mouvement intersectionnel » ?

Les acteurs problématisent le fait de parler en termes de « mouvement intersectionnel ». Ce n’est pas l’inexistence du débat autour du thème dans l’espace politique-médiatique qui est pointée par les acteurs, mais l’absence d’une structure réelle, capable de fédérer plusieurs revendications en même temps. Les « mouvements sociaux » entendus ici comme étant toute action collective, facilement reconnaissable, et organisée de façon durable, contre un adversaire clairement défini (Molénat, 2009). Fania Noël, dans son livre Afro-communautaire. Appartenir à nous-mêmes, estime que l’intersectionnalité est un outil d’analyse (avec des limites et des écueils), mais pas un mouvement10. Durant l’entretien11, nous avons abordé avec elle cet extrait du livre pour qu’elle détaille ses propos. Elle a catégoriquement rejeté l’idée de l’existence d’un « mouvement intersectionnel », tout en ajoutant l’inexistence d’un « féminisme intersectionnel » ou d’une « personne intersectionnelle ». Pour elle, ces expressions ne veulent rien dire, puisque « être intersectionnel » n’explique en rien de quelle intersection la personne parle. Regrouper sous un seul parapluie les différentes expériences de sexisme consisterait en une logique pseudo-intersectionnelle et de facto universaliste, puisqu’un groupe se sentirait légitime pour penser, parler et/ou représenter toutes les femmes (intersectionnelles). Alors que le concept est justement né dans une logique de prise en compte des pluralités des expériences. Ainsi, on ne dit pas « féminisme intersectionnel » ou « femmes intersectionnelles », mais on parle plutôt « des féminismes » et « des femmes », avec d’autres appartenances considérées non hiérarchisables dans les expériences collectives (comme la classe, la race ou le handicap). Selon Fania Noël il n’est pas possible de dire que l’intersectionnalité pourrait englober toutes les revendications minoritaires pour lutter contre un adversaire commun, au nom de toutes/tous. Elle utilise « les couches de lasagne »12 comme métaphore pour faire référence aux communiqués des « associations intersectionnelles » qui signent à la fin de leur texte : « et les noirs, et les femmes, et les voilées, et les Arabes, et les machins », comme des couches de lasagne qui s’additionnent pour former un tout. Fania Noël partage personnellement son investissement militant dans différentes organisations politiques. Pour ce qui relève de l’antiracisme, elle est membre de la Ligue panafricaine ; pour ce qui relève du féminisme, Fania Noël est membre de Mwasi, un collectif afroféministe créé à Paris en 2014 par un groupe d’Africaines et afrodescendantes. Selon elle, se focaliser sur une lutte particulière, dans un espace circonscrit et formalisé – même spécifique à une minorité précise – permet d’avoir un rapport de force face aux organismes, aux autres associations et à l’État. Mwasi n’est pas un collectif ouvert à toutes, mais uniquement « aux femmes et aux personnes assignées femmes, noires et métisses »13. Comme elle l’explique :

Nous avons nos propres singularités en termes d'idéologie politique, de pratique politique, de tradition dans laquelle on s'inscrit, des concepts qu'on utilise. Ce n'est pas juste une grosse soupe.14

Mwasi s’inscrit dans le renouvellement des pratiques militantes de la diaspora africaine (Othieno et Davis, 2019). On le qualifiera de « collectif intersectionnel », mais sans oublier qu’il continue de travailler «in a non-mixed environment, exclusively open to Black and mixed-race women », comme l’ont fait précédemment les membres de la Coordination des femmes noires (Cdfn, 1978-1981) et du Mouvement pour la défense des droits de la femme noire (MODEFEN, 1981-1994). Autrement dit, ce sont les « femmes noires et afrodescendantes » qui sont centrales dans leurs pratiques politiques : « un féminisme par et pour des femmes noires afrodescendantes d’ici et d’ailleurs » (Mwasi, 2018, p. 9).

Parallèlement, Amandine Gay se présente comme afroféministe et matérialiste15. Cela veut dire que pour elle, il est « important de faire entrer les enjeux de classe dans la réflexion féministe », sans pour autant que l’un l’emporte sur l’autre. Ce qu’elle trouve intéressant par rapport aux différents mouvements qui existent actuellement, c’est la tension entre minoritaire et majoritaire. Au sein d’un mouvement historiquement constitué – comme le féminisme, par exemple –, l’intersectionnalité permet aux groupes de femmes minoritaires de « ne plus laisser le groupe majoritaire » décider de l’agenda, comme si « les femmes » étaient un groupe uniforme et homogène. Elle explique :

Ce qui s'est passé ces dernières années a permis de mettre en lumière le fait que plutôt que d’essayer d'aller vers des luttes homogènes, où on aurait toutes et tous les mêmes objectifs finaux, d'accepter plutôt de penser en termes de moments où on s’allie sur des questions stratégiques. Accepter qu’on ait des différences qui seront irréconciliables, parce qu’à un moment donné, moi je suis agnostique et mon intérêt sur les questions religieuses a une limite16.

Ce n’est pas le désaccord entre minoritaire et majoritaire au sein d’un même groupe qui constitue le problème pour Amandine Gay, mais le fait de nier ses propres appartenances et le positionnement qu’on occupe quand on parle aux Autres (Ribeiro, 2017). Elle donne deux exemples. Premièrement, Amandine Gay est agnostique matérialiste, en revanche, elle ne trouve pas normal de stigmatiser les individus par rapport à leur religion. Dans cette perspective, elle lutte contre l'islamophobie que subissent les femmes de confession de foi islamique, sans pour autant modifier son rapport personnel à la religion. Deuxièmement, par rapport aux femmes transgenres, elle écrit : « Les féministes transphobes qui se sentent obligées de dire régulièrement que les femmes transgenres n'ont pas le droit d'exister ou n'ont pas voix au chapitre, elles pourraient juste la fermer »17. Au fond, l’intersectionnalité fait voir le rapport de force entre majoritaire et minoritaire au sein des groupes politiques. Elle remet en cause la supposée homogénéité des individus minoritaires. En ce sens, à l’intérieur d’un même groupe minoritaire, l’intersectionnalité serait utile pour comprendre les vécus de l’Autre : « On peut avoir des privilèges par rapport à un autre groupe de femmes. Est-ce qu’on peut plutôt promouvoir leur lutte, que parler à leur place ? Est-ce qu'on peut réfléchir à quelle est notre place par rapport à leurs identités ? »18.

Finalement, différentes raisons expliquent que l’intersectionnalité en tant que « mouvement social » n’existe pas : Fania Noël estime impossible de « lutter sur tous les fronts » au sein d’un même groupe politique, car chaque lutte mérite sa propre organisation, son propre combat et sa propre stratégie ; et Amandine Gay parle en termes de minorité/majorité et que les désaccords au sein des mouvements révèlent différents vécus des personnes minoritaires. Elle attire l’attention sur les enjeux de domination qui peuvent exister au sein d’un groupe. Ainsi, la terminologie « mouvement » ne semble pas prendre en compte les spécificités de ce terrain, qui paraît plutôt prendre la forme d’une cause.

L’espace de la cause intersectionnelle existe-t-il ?

En partant du présupposé que l’intersectionnalité n’est pas un mouvement social, mais qu’elle est utile aux différents mouvements historiquement structurés pour repenser le rapport entre minorité et majorité au sein de ces espaces, il nous semble plus juste de parler d’une « cause », au sens où l’intersectionnalité devient une revendication, une lutte et une demande politiques pour la prise en compte des situations particulières (voire intimes) dans le combat contre les injustices. Cette « cause » traverse et est traversée, dans le sens où le concept circule et inspire des mouvements sociaux historiquement situés – comme le féminisme, la lutte des classes, les droits des personnes LGBTQI+, l’antiracisme – pour repenser le rapport de force au sein même de ces populations minoritaires. Par exemple, dans le mouvement LGBTQI+, l’intersectionnalité ne fait pas historiquement partie de la grammaire militante. En revanche, en tant que « cause », elle permet une réflexion sur le corps et la sexualité de ceux et celles qui sont perçus comme non blancs au sein de la communauté. Ce que Miguel Shema dévoile à partir de publications sur Instagram, où il expose la « fétichisation que les personnes racisées subissent sur Grindr »19. En ce sens, le mouvement LGBTQI+ s’attache à la « cause intersectionnelle » pour révéler des inégalités au sein même de la communauté. Au fond, l’intersectionnalité en tant que « cause » sert aux mouvements sociaux déjà existants à repenser « la monopolisation de la représentation des groupes dominés par les membres de ces groupes qui sont détenteurs de propriétés dominantes, à l’exception de celle qui fait l’objet de la représentation » (Chauvin et Jaunait, 2015, p. 56-57). 

En nous inspirant des travaux de Laure Bereni sur « l’espace de la cause des femmes » (2012), nous nous demandons si cette cause circule au sein d’un « espace » (Mathieu, 2007, 2012) qu’on pourrait qualifier « d’espace de la cause intersectionnelle ». En utilisant l’exemple de la parité, Bereni observe que les luttes féministes ont été imbriquées dans des sphères multiples. Cette notion permet d’englober une pluralité d’acteurs : 

Non seulement les associations féminines et féministes, auxquelles la notion de “mouvement de femmes” renvoie classiquement, mais aussi d’autres sites de défense de la cause des femmes, qui s’inscrivent dans une grande variété de champs sociaux, y compris des univers institutionnalisés et professionnalisés  (Bereni, 2012, p. 30).

Bereni démontre que la contestation féministe n’est pas circonscrite à l’univers des mouvements sociaux. La cause des femmes imbrique dans un seul espace de multiples univers pratiques et symboliques, qui peuvent être en désaccord, en conflit ou en contradiction. Dans une logique très proche, Thibault Rioufreyt fournit d’autres éléments pour analyser ces lieux hybrides. Il confronte ce qu’il appelle « l’espace intellectuel socialiste (EIS) » aux différents concepts et notions en SHS, qui aident à penser le fait que des acteurs issus de différents univers se réunissent autour d’un projet politique commun. En partant de la notion de réseau, après celles de monde social et de champs, Thibault Rioufreyt arrive à la conclusion que l’EIS est « une espèce d’espace bien bizarre ». Il explique :

Plus différencié et structuré qu’un simple réseau de sociabilité, ne possédant pas l’autonomie nécessaire pour pouvoir être qualifié de champ ou de secteur tout en étant à la croisée de plusieurs d’entre eux, trop hétérogène idéologiquement pour constituer une communauté épistémique (Rioufreyt, 2019, p. 27).

Les textes de Bereni et Rioufreyt servent de base pour penser cette extrapolation du personnel que les MMM constituent sur le web. Ils aident également à nuancer les différences. Tout d’abord, avec Laure Bereni, inclure l’intersectionnalité dans « l’espace de la cause des femmes » est possible, si l’on veut marquer la différence avec d’autres courants du féminisme au sein d’un même espace. Cependant, cette démarche comprend certaines limites. En tant qu’outil d’analyse, l’intersectionnalité ne se restreint pas au féminisme, ni même aux questions de genre. En effet, l’intersectionnalité est un outil qui dépasse les frontières du mouvement féministe et peut avoir des incidences sur les mouvements LGBTQI+, antiraciste, validiste et sur la lutte des classes. En ce sens, à l’image de « l’espace intellectuel socialiste », l’idée de « l’espace intersectionnel » serait plus juste. Le concept ne se limite pas à la frontière de la cause des femmes, mais à l’inverse l’espace de la cause des femmes devient un enjeu de la cause intersectionnelle. Un autre problème ici vient du fait que les acteurs qui construisent « l’espace de la cause intersectionnelle » sont majoritairement des individus. Cet espace n’aurait pas actuellement la multiplicité et l’autonomie de structures qui composent l’EIS : appareil partisan, fondations, clubs, maisons d’édition, think tanks. Il serait moins pluriel en matière de « pôles sectoriels », associatif, partisan, étatique, syndical, ecclésial, comme décrit Bereni, chacun d’entre eux « en partie orientés vers les logiques spécifiques du champ où ils s’insèrent » (Bereni, 2012, p. 36). Alors que dans notre cas, rester sur le plan d’espace reviendrait au fait de parler des individus et des petits groupes d’individus qui se connectent pour lutter ensemble, dans des moments précis et sur des objectifs limités. Or, cela réduirait profondément ce que les deux auteurs catégorisent comme « espace » dans leurs textes. En outre, notre terrain semble limité pour affirmer (ou non) l’existence « d’un espace de la cause intersectionnelle », car si tel était le cas, les MMM que nous étudions seraient une entité de cet espace et pas la totalité de l’espace en soi. Alors, de quelle manière peut-on qualifier l’engagement que la « cause intersectionnelle » promeut sur le web ?

Une communauté d’action émergente

Les acteurs évoquent l’image d’une « toile d’araignée », terme qui permet d’insister sur le caractère informel, flexible et fragile de l’engagement qu’ils portent. Envisager les MMM comme une toile fait écho aux propos d’Alma qui envisage son MMM (La toile d’Alma) comme un tissu composé par un ensemble d’informations reliées. Pour reprendre la métaphore de Josiane Jouët, les acteurs étudiés construisent, en utilisant des supports numériques, une « toile d’araignée ». La sociologue envisage le numérique comme un fil d’émancipation et de libération pour les femmes (Jouët, 2020). Le tissage de cette toile est favorisé par les structures des plateformes socionumériques qui, en reliant des individus avec des vécus similaires, encouragent l’émergence de causes et de revendications moins formelles et sans leader, par exemple. La flexibilité – de construire, de détruire et de reconstruire le réseau de fils – devient alors l’une des caractéristiques de cette forme de faire collectif. Dans ce sens, le terme « toile » fait allusion aux RSN et à la façon dont les MMM dénotent une autre forme d’action collective.

La non-prise en compte des expériences individuelles dans les collectifs revient lors des entretiens pour justifier le besoin d’une nouvelle forme d’action collective. Nina Daboussi entend de cette manière l’intersectionnalité comme des fils qui partent des individus et les relient entre eux par des vécus similaires. En regardant la toile de chaque individu, il serait possible de comprendre pourquoi certains ont des vécus différents ou similaires par rapport au restant du groupe. Par exemple, au sein d’une association féministe, « les vécus des femmes noires sont différents de ceux des femmes d’origines arabes, qui sont différents de ceux des femmes asiatiques ». Elles sont toutes liées par le fil « femme », mais avec d’autres fils qui composent leur toile, ce qui justifie « les vécus et le besoin de libérer la parole différemment »20. Vénus Liuzzo témoigne : « Il n'y a que les gens qui sont exactement à la même intersection que toi qui peuvent te comprendre et il y en a très peu. Ce qui fait que c'est encore plus compliqué de lutter, et de lutter efficacement »21. En se revendiquant « femme transgenre » et « travailleuse du sexe », elle partage son énergie politique dans deux organisations différentes (STRASS22 et Inter-LGBT), sans pour autant voir la totalité de ses expériences prises en compte par aucune des deux. Ni toutes les femmes transgenres sont des « travailleuses du sexe » ni toutes les « travailleuses du sexe » sont des femmes transgenres. Même si Vénus Liuzzo ne semble pas avoir de difficulté à penser un « nous », dans le partage de son individualité sur les RSN, elle entend la construction d’une forme traditionnelle de faire collectif comme étant plus complexe. Par exemple, au moment de la marche des fiertés, elle fait souvent appel à des amis et des personnes proches pour organiser des manifestations et des activités indépendantes. Il ne s’agit pas d’un refus complet d’appartenir à des organisations, mais d’une difficulté de se réunir en partant d’expériences qui sont particulières.

Nous proposons le terme « communauté d’action » car il situe notre analyse dans la logique des travaux de Fabien Granjon (2018) sur le néomilitantisme et la technicisation de l’action militante. Il fait clairement référence à ce que le sociologue appelle « mobilisation pour l’action » à partir de sa lecture des travaux de Bert Klandermans sur la mobilisation et la participation des citoyens à des mouvements sociaux. Penser en termes de « communauté d’action » me paraît adapté pour penser l’engagement qui produit la « cause intersectionnelle » d’autant plus que les MMM peuvent être entendus comme la « mobilisation cognitive préalable » et « les instances de formation du consensus » que l’auteur estime indispensable à l’action (Granjon, 2001, p. 107). Ainsi, le choix de ce terme sert à associer la production de l’information de ces acteurs et leur action collective, ce que Dominique Cardon et Fabien Granjon (2013) nomment le Médiactivisme. Avec une particularité toutefois : au contraire d’autres « mobilisations par le bas » – comme les révolutions tunisienne et égyptienne –, ces acteurs ne luttent pas spécifiquement contre une censure d’État ou le manque de transparence des institutions publiques. L’enjeu ici est la production d’information pour pointer la non-prise en compte de leurs individualités dans l’espace médiatique, culturel et politique. La production d’information est entendue en tant qu’enjeu de lutte, car ces acteurs souhaitent faire exister une image d’eux-mêmes qui n’a pas de visibilité ailleurs, à des fins de reconnaissance (Honneth, 2005, 2013) et de lutte contre le mépris (Renault, 2000). Par la suite, nous démontrons alors de quelle manière cette « communauté d’action » s’opérationnalise sur et avec les RSN.

Les pratiques numériques et solidaires

Une communauté se reconnaît par les principes et règles qui sont mis en commun avec les autres membres, même de façon sous-entendue. Comme l’estiment Madeleine Akrich et Cécile Méadel : « La participation d’un acteur à des activités sur Internet peut le conduire à adhérer à des formes de collectifs qui ne se réduisent pas à de simples agrégations d’individus, mais qui possèdent une identité, une organisation spécifique, une régulation » (Akrich et Méadel, 2007, p. 145). Dans notre cas spécifique, quelles sont les pratiques qui peuvent révéler l’existence de cette communauté ? Tout d’abord, comme Akrich et Méadel l’ont estimé à propos des collectifs de patients, l’organisation et la régulation de la « communauté d’action » étudiée sont difficiles à préciser. Aucun de ces MMM ne définit clairement le mode d’adhésion ou le type de comportement attendu, on ne peut donc que difficilement parler de règles établies. En revanche, certaines « pratiques solidaires » illustrent cette autre façon de faire collectif des MMM. Ce que nous entendons par « pratiques solidaires » est cet ensemble d’activités partagées par les MMM qui révèlent un lien étroit, une dépendance réciproque entre acteurs.

Par la suite, nous présentons donc trois pratiques solidaires que nous avons pu identifier par l’observation (parfois participante). Premièrement, un renvoi en miroir entre acteurs à partir des fonctionnalités des réseaux socionumériques – particulièrement Twitter et Instagram. Deuxièmement, une capacité de mobilisation entre MMM sur des sujets communs. En ce sens, l’année 2020 a été le moment d’une forte mobilisation autour d’Assa Traoré et Black Lives Matter, et plus globalement contre les violences policières. Troisièmement, ces MMM organisent des manifestations hors-ligne (ateliers, événements, expositions et mois thématiques) qui ont pour objectif d’engager les uns et les autres, et leurs abonnés.

Renvoi entre acteurs

Dans leurs pratiques quotidiennes, ces acteurs renvoient les uns vers les autres de façon systématique. À cet effet, nous avons recréé visuellement cette communauté avec le logiciel Hyphe23. À partir des 189 comptes, profils et pages qui composent notre terrain, le logiciel a produit automatiquement la figure 1, ce qui réduit notre analyse aux interactions faites de façon formelle à travers des liens. Autrement dit, la figure 1 représente la connexion par hyperliens entre MMM ; composée dans le but de savoir qui renvoie à qui, qui est connecté à qui par le biais des liens. On ne considère comme membre de ce réseau que les MMM étudiés et pas une possible diversité d’individus qui gravitent autour de l’intersectionnalité. Malgré l’artificialité de la figure qui suit – et qui n’exprime que les connexions formalisées par hyperlien –, la disposition du réseau permet de faire ressortir trois mécanismes de connexion entre MMM. Premièrement, la structure renforce le postulat que les acteurs sont tous interconnectés. Ils sont reliés entre eux, par des liens sortants-entrants, mais il n’y a pas de MMM qui seraient considérablement plus importants que d’autres. La disposition du réseau confirme aussi une symétrie entre MMM produits par des individus, binômes ou petits groupes. Deuxièmement, l’organisation du réseau démontre une concentration autour des MMM créés par des afroféministes, comme Mrs Roots, Mwasi, Keyholes & Snapshots, Amandine Gay. Cela s’explique, d’une part, car l’intersectionnalité est conceptualisée à partir d’une épistémologie afroaméricaine, dans une interaction entre l’académie et le Black Feminism (Hill Collins, 2016, 2019). Dans ce cas, le concept est historiquement mobilisé par des acteurs qui sont dans une démarche de croiser race, classe et genre. La religion et le validisme24 arrivent un peu plus tard. D’autre part, les conditions de mon entrée sur le terrain expliquent aussi cette prédominance afroféministe : nous avons débuté cette enquête en 2017 avec un terrain exclusivement afroféministe. Troisièmement, les MMM qui se retrouvent dans les extrémités de l’image sont ceux qui ne mobilisent pas (ou très peu) les questions ethnoraciales dans leurs contenus (Aux marches du palais, Vénus Liuzzo, Miroir Miroir). Je postule donc que le contenu sur la lutte contre le racisme se révèle un élément important pour comprendre les liaisons entre MMM.

Figure 1 : Connexion hyperlien entre les MMM du corpus, le 11 février 2020

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L’identification des acteurs sur des publications sur les RSN est une autre forme pour rendre visible par des hyperliens les pratiques solidaires que nous cherchons à illustrer. Cette identification est faite grâce aux fonctionnalités des réseaux socionumériques (Facebook, Instagram et Twitter) qui permettent aux utilisateurs d’identifier (ou tagger) un autre usager. Cette pratique a un double objectif : promouvoir le compte/profil/contenu d’un autre utilisateur auprès de ses abonnés ; et dialoguer avec l’utilisateur identifié, qui reçoit une notification à chaque fois qu’il est identifié sur une publication (tweet, Instagram Story, billet sur Facebook). Pour cela, l’identification sur des publications nous paraît la moins coûteuse, en termes de temps, de capacité technique et d’énergie de production. Les publications sur Instagram et Twitter sont majoritaires. Tout d’abord parce que ces deux plateformes sont les plus utilisées par les MMM, en termes de nombre de profils et comptes créés. Ensuite, leur fonctionnalité favorise un échange plus intense et direct entre utilisateurs, ce qu’on ne peut pas voir sur d’autres espaces plutôt réservés aux contenus (comme YouTube, SoundCloud, WordPress) ou aux actions collectives (Facebook, Typee, Patreon). Finalement, ces pratiques solidaires d’identification peuvent aussi être formulées de façon négative, c’est-à-dire pour identifier des comptes/profils/contenus à ne pas suivre, à ne pas lire, voire à dénoncer aux plateformes. En revanche, je n’ai pas trouvé d’identifications de cet ordre entre les acteurs étudiés, qui semblent plutôt se promouvoir les uns et les autres. Les pratiques solidaires par l’identification sur des publications peuvent être regroupées par différentes logiques, comme de validation, de promotion, de soutien moral, et/ou de soutien matériel et d’action commune. Nous avons traité ces différentes logiques de manière extensive dans notre mémoire de thèse. Pour ne citer qu’un exemple dans cet article, comme le montrent les images de la figure 2, lors de la publication du livre Féminismes & pop culture25 de Jennifer Padjemi, différents acteurs et actrices en encouragent la lecture (et soutiennent l’auteure) et manifestent leur intérêt pour le thème de la publication.

Figure 2 : Publication sur Instagram

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Story de Grace Ly, consultée le 7 décembre 2020 ; de Diariatou Kebe, consultée le 7 décembre 2020 ; de Jo Güstin, consultée le 9 mars 2021 ; et de Nadia Bouchenni, consultée le 2 avril 2021

Capacité de mobilisation

La capacité de mobilisation de ces MMM est un autre aspect qui rend visible cette communauté d’action. Elle revient à la capacité de ses acteurs à s’organiser pour faire face à une situation ou une réalité qu’ils jugent injuste ou menaçante. Au cours de la période d’observation, durant l’année 2020, nous avons remarqué que le thème des « violences policières » a cristallisé cette capacité de mobilisation, particulièrement parce que la thématique a été prolongée par différentes actualités (mort de George Floyd, Black Lives Matter, Adama Traoré, Loi pour une sécurité globale préservant les libertés). Cette capacité de mobilisation n’est pas uniquement visible en ligne, mais également hors-ligne, lors de manifestations par exemple. Loin d’opposer ces deux aspects, nous proposons de les analyser ensemble, en termes d’imbrication. Autrement dit, des appels à manifester partagés en ligne prennent forme hors-ligne, en même temps que ces manifestations hors-ligne ont leur existence prolongée (et documentée) en ligne, par la publication de textes, de vidéos et d’images, en temps réel ou pas.

Tout d’abord, les mobilisations contre les violences policières ont été à nouveau un sujet à l’actualité après le mort de George Floyd, à la suite de son interpellation par le policier Derek Chauvin. Le crime a eu lieu le 25 mai 2020 à Minneapolis, dans le Minnesota, et a déclenché une vague de manifestations aux États-Unis et dans plusieurs pays. Le #BlackLivesMatter devient un moyen de dénoncer « violences et abus des policiers » sur le web. En France, ce mouvement a été repris par Assa Traoré, qui plaide la condamnation des gendarmes responsables de la mort de son frère Adama Traoré, décédé à la suite d’une interpellation en 2016. Dans ce contexte, une manifestation intitulée « Révolte contre le déni de justice » a été organisée le 2 juin 2020 sur le parvis du tribunal de Paris, par le Comité vérité et justice pour Adama. Ensuite, la même année, ce sont les manifestations contre la Loi pour une sécurité globale qui ont réuni différents acteurs du terrain contre les violences policières27. Au moment des manifestations organisées au mois de novembre 2022, nous observons qu’au-delà d’une répercussion sur les réseaux socionumériques, les « violences policières » se sont transformées en contenus pour ces MMM. À l’intersection, Kiffe ta race et Mrs Roots vont produire du contenu pour en parler, comme on peut voir sur la figure 3.

Figure 3 : Publication sur Instagram

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À l’intersection du 27 novembre 2020 ; Instagram Sory de Kiffe ta race du 27 novembre ; et Instagram Story de Mrs Roots du 8 décembre 2020

Par exemple, dans l’épisode 2 Violences policières, la parole aux jeunes de quartiers, Anas Daïf recueille le témoignage des personnes vivant dans des quartiers populaires ou dans la banlieue parisienne : « Ils ont été nombreux à venir témoigner de leurs sentiments et leurs expériences face aux forces de l'ordre pour libérer leur parole et se faire enfin entendre »29. Dans l’épisode suivant Un divan en Manif, il reprend les codes journalistiques pour donner la parole aux manifestants qui ont participé le 2 juin à Paris en soutien à la cause portée par Assa Traoré : « Ils racontent cette journée historique, parlent de racisme systémique, de privilège blanc, de leurs perspectives en tant que personnes racisées dans un pays qui a du mal à faire son examen de conscience »30. Kiffe ta race a également abordé le sujet à partir d’une perspective critique des vidéos qui ont circulé sur les RSN, notamment celle de la mort de Georges Floyd :

Pouvoir attester et témoigner des violences grâce à la vidéo, c’est important. Mais selon l’expérience raciale de chacun-e, les images ne sont pas perçues de la même manière. Quid de l’accumulation des images de corps noirs violentés et assassinés, et quel effet cela a-t-il sur les personnes noir-e-s confronté-e-s à ces images de mise à mort ?31

Ainsi, pour son blog, Mrs Roots a écrit l’article Comprendre le rôle de la police au sein du racisme systémique32 avec un retour sur différentes ressources sur le rapport historique des antiracistes face à la police, en particulier les femmes noires. En revanche, ce n’est pas la première fois que le sujet est abordé par ces MMM. Kiffe ta race abordait déjà la question des « violences policières » en mars 2020 dans un épisode consacré à la « violence policière des quartiers populaires »33, en prenant l’actualité des manifestations des gilets jaunes. À cette occasion, Rokhaya Diallo et Grace Ly avaient reçu Amal Bentounsi, porte-parole du collectif « Urgence, notre police assassine » et fondatrice de l’Observatoire national des pratiques des violences policières. Fania Noël a fait un épisode intitulé Les féministes détestent-elles la police ?34 en pleine période de confinement en France. Moins récemment, Elawan avait déjà évoqué l’affaire Adama Traoré et l’affaire Théo Luhaka35 en février 2017 dans une vidéo intitulée Pas de justice ? Pas de paix !36 ; et le collectif Mwasi avait publié la même année deux vidéos intitulées Justice pour Théo, justice pour tou.te.s ! - version courte37 et version longue38. C’est justement parce que le sujet n’est pas nouveau que certains MMM ont abordé le sujet avec un regard critique sur le caractère éphémère de sa trajectoire médiatique. Par exemple, Mrs Roots a publié un article intitulé George Floyd, Adama Traoré : il y a un “etc” et soi39, où elle attire l’attention sur la charge que ce débat peut représenter pour les personnes concernées : « Vous avez donc le droit d’être en colère, et vous avez aussi le droit de choisir vos moments, dans une conversation qui a commencé bien avant nous. » Elle a partagé une liste de ressources (textes, vidéos, threads sur Twitter) pour aider d’autres femmes noires – elle le précise – à vivre cette « période si éprouvante » où « les comptes et réseaux sociaux de plusieurs personnes noires ont été pris d’assaut » par des internautes qui cherchent à connaître l’avis des concernées sur le sujet des « violences policières » ; sans se rendre compte que cela peut être aussi fatigant et doublement violent.

Manifestations hors ligne

Le troisième et dernier aspect à étudier sur la façon dont cette communauté d’action prend forme, s’organise et se régule est l’organisation de manifestations hors-ligne. En dehors de la rédaction de livres et de la production de contenus, aspects déjà abordés, ces MMM organisent des événements qui prennent la forme d’ateliers, de rencontres, de débats, de festivals, d’expositions et de formations. Ces manifestations ont pour fonction la rencontre des MMM avec leur audience. Elles servent aussi à prolonger l’action des MMM au-delà des personnes qui écoutent leurs émissions de podcast, visionnent leurs vidéos ou lisent leurs textes. Dans cette logique de « communauté d’action », ces événements renforcent la capacité de ces acteurs à mobiliser des personnes en ligne et hors-ligne.

En ce qui concerne les mobilisations organisées hors-ligne, nous avons participé à la première séance de l’atelier d’écriture créative De quelle couleur est ta peau noire, animée par Anna Tjé de la Revue Atayé en 2018 (figure 4). L’objectif de l’atelier a été d’explorer les descriptions des corps noirs dans l’espace littéraire. Limités à 15 personnes, les ateliers avaient un côté pratique très intéressant. Tout au long des séances les participants ont été invités à écrire et discuter de leur texte en groupe. Pour la première séance, à laquelle nous avons donc participé, Anna Tjé a projeté des photos sur un écran et les participants ont dû décrire des personnages tout en évitant des expressions clichées comme « couleur ébène » ou des termes « chocolat » ou « café ». Puis les textes ont été lus à voix haute et l’animatrice a noté les expressions utilisées, en faisant des commentaires et des comparaisons. Elle a utilisé comme exemple d’écriture un texte de Conceição Evaristo, une auteure afro-brésilienne, qui construit ses personnages noirs sans jamais faire référence aux aspects physiques, comme la couleur de la peau. Ces événements ont pour objectif la création d’espaces où les personnes peuvent se rencontrer à partir d’intérêts communs, échanger et produire ensemble. La production n’est pas comprise ici comme la construction de grands projets éditoriaux, mais comme le fait d’aider des amateurs à vaincre la peur de la création littéraire et/ou artistique. Les ateliers d’écriture créative ont différents sujets (Afrique, cheveux, futur, transmission, révolution). Ils sont le principal format d’événements organisés par Atayé, parfois en partenariat avec d’autres structures (Petit Bain, Le Mois Kréyol, exposition Afro, Afrolitt’, Bluenove !).

Figure 4 : Publication Instagram d’Atayé

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Du 29 avril 2018, sur la première séance de l’atelier d’écriture créative « De quelle couleur est ma peau noire », à laquelle nous avons pu participer, consultée le 18 juillet 2021

Parmi ces manifestations, nous avons un autre exemple particulièrement éclairant : Afrolab. Tout d’abord, ce projet ne correspond pas à l’un des quatre formats de manifestation listés plus haut : ce n’est pas uniquement un atelier ni un festival, une exposition ou un événement thématique. Depuis 2019, au-delà des séances de l’atelier, les organisatrices ont ouvert des appels à projets, pour le suivi individuel et annuel d’un groupe plus restreint de participantes. Ensuite, parce que c’est un exemple de la façon dont cette communauté d’action ne repose pas uniquement sur la contestation par le débat et la production d’information, mais également par la mise en place d’outils qui permettent de l’entre-aide et du partage de savoirs. Afrolab s’inscrit dans cette démarche. En partant de son expérience personnelle dans le domaine du blog et de l’édition de livre jeunesse, Mrs Roots41 s’est sentie impuissante face à des éditeurs qui ne croyaient pas à son projet de publication. Les données qui prouvaient, autant à l'éditeur qu'à elle-même, que son livre Comme un million de papillons noirs pouvait rapporter de l'argent n’étaient pas suffisantes pour convaincre les maisons d’édition à le publier : « Tu es face à une industrie qui te dit : “cela ne va pas vendre” Aujourd'hui Comme un million de papillons noirs est un best-seller jeunesse »42. L’argument utilisé par ceux que Mrs Roots appelle « l’industrie » n’avait rien à voir avec les aspects techniques du texte ou des images qui composent le livre. Selon elle, l’argument utilisé faisait référence au fait qu’un livre écrit par une auteure noire, avec des personnages noirs, est trop « communautaire » pour être commercialisé43. Elle a fondé Afrolab pour proposer à d’autres femmes noires un suivi dans leur projet de création et leur donner des retours « d’un point de vue très juste et objectif »44 sur la viabilité de leur idée. Créé en 2018, Afrolab en est à la troisième édition. Il a d’abord pris la forme d’un atelier, où des invitées partageaient leurs expériences lors de la création d’un projet numérique (site, blog, chaîne YouTube, podcast) avec des « porteuses de projets » inscrites à l’atelier. Ensuite, lors de la deuxième édition, un appel à projets a été ouvert pour un suivi individuel. Comme l’explique le site de présentation du projet45, les fondatrices n’avaient pas l’intérêt de transmettre « les clés de la réussite, mais des outils qui permettent d’avoir moins de cambouis sur les mains. » Elles assument une « approche learning by doing, pragmatique et réaliste » lors des séances de l’atelier. En invitant des intervenantes (d’autres acteurs du terrain ont participé aux éditions) qui travaillent ou ont de l’expérience avec différents outils numériques pour créer du contenu en ligne, les thématiques travaillées sont l’édition, la vidéo, le podcast, l’illustration, la création de sites et l’entrepreneuriat.

Finalement, nous faisons l’hypothèse que ces deux exemples illustrent la façon dont l’usage des supports contribue à structurer une « communauté d’action » autour de la cause intersectionnelle sur le web en favorisant des pratiques solidaires. Premièrement, nous démontrons que ces acteurs renvoient les uns vers les autres de façon systématique. Deuxièmement, nous évoquons leur capacité de mobilisation et de s’organiser pour faire face à une situation ou réalité qu’ils jugent injuste ou menaçante. Troisièmement, cette communauté d’action prend forme et s’organise à partir de l’organisation des manifestations hors ligne, des exemples d’ateliers, d’événements thématiques et d’expositions. Le projet Afrolab est la preuve que ces MMM non seulement critiquent le manque de représentation dans les productions médiatiques et culturelles, mais construisent aussi des moyens pour partager des savoirs qui vont aider dans la mise en place de nouveaux projets, voire d’autres MMM.

Conclusion

La visée de cet article était de comprendre comment des individus qui mobilisent le concept d’intersectionnalité structurent une action collective sur le web. L’intersectionnalité permet d’attirer l’attention sur ce qui est « particulier » dans l’expérience sociale des individus ; sur ceux et celles qui ne sont pas tout à fait visibles dans des groupes (droits LGBTQI+, féminisme) et circonscrits dans un contexte (européen, américain, du Sud). Les 33 acteurs que nous analysons partagent un « monde symbolique commun » (Tufecki, 2019) et des pratiques numériques. En ce sens, l’articulation entre le « je » et le « nous » passe par le partage des vécus intimes et l’usage des plateformes numériques pour porter un discours politique structuré. Ce que nous appelons MMM, ce sont des objets médiatiques nés dans un premier temps de cette volonté de s’exprimer, c’est-à-dire de fabriquer une autre image de soi indépendante de celle véhiculée par les productions médiatiques et culturelles hégémoniques. Ensuite, par les caractéristiques mêmes des supports utilisés pour donner forme à cette autre image de soi, ces MMM finissent par regrouper des individus qui partagent les mêmes interprétations de ces expériences. Ainsi, les fonctionnalités des supports, particulièrement des réseaux socionumériques (comme Facebook, Twitter et Instagram), semblent favoriser cette mise en commun des MMM. On parle donc d’une « communauté d’action », au sens des travaux menés par Dominique Cardon et Fabien Granjon. Ce terme met l’accent sur le fait que ce n’est pas une appartenance (réelle ou supposée) à des catégories identitaires et socioéconomiques ou une proximité géographique qui les regroupent ici, mais plutôt le « médiactivisme » évoqué par ces deux auteurs.

Leurs pratiques sur ces espaces révèlent donc les contours de cette communauté composée par des acteurs qui envisagent la production de l’information sur le web comme une action. Nous avons démontré cela en deux temps. Premièrement, nous avons affirmé l’inexistence d’un « mouvement intersectionnel » en France. Il nous semble compliqué qu’il soit présenté comme une réalité et cela pour deux raisons. Tout d’abord parce qu’il n’est pas revendiqué par les acteurs du terrain, qui sont d’ailleurs très prudents dans l’utilisation de l’intersectionnalité en tant qu’adjectif. Ensuite, si l’on respecte la logique même du concept en tant qu’outil d’analyse, nous ne trouvons pas actuellement un mouvement social avec un projet structuré qui réunit (toutes) les revendications minoritaires pour lutter contre un adversaire commun (Neveu, 2019), au nom de tous « les intersectionnels ». Nous avons cherché à comprendre comment l’extrapolation du personnel construit une autre forme d’action collective. Ces MMM sont le résultat d’un parcours qui est personnel. Les vécus et surtout le sentiment de colère poussent en quelque sorte ces acteurs à fabriquer des objets dont ils maîtrisent le contenu, le ton et le choix des sujets. Si cette multiplicité de voix isolées arrive à constituer un « nous », elle a plus de mal à fabriquer des collectifs formels et stables. Deuxièmement, cet article a démontré que cette communauté d’action se rend visible, s’organise et se régule à partir de pratiques solidaires : le renvoi en miroir entre acteurs, la capacité de mobilisation autour de sujets de l’actualité et l’organisation d’événements hors-ligne. Afrolab est un exemple de la façon dont ces acteurs s’organisent collectivement. Ce projet regroupe des individus qui partagent leur savoir-faire, entre femmes noires, pour faire exister ou faire avancer des projets de création comme Afropea, un MMM qui s’attache à documenter visuellement l’existence d’individus qui vivent partagés entre leurs origines africaines et européennes46. L’articulation entre les manifestations en et hors-ligne est aussi une autre caractéristique des MMM. Nous observons un prolongement entre ce qu’il se passe sur des supports numériques et ce qui se produit dans des espaces in real life (salles, cafés, galeries), dans une logique multi-site (Hine, 2015).

1 À savoir : Alma, Amandine Gay, Anas Daïf, Anna Tjé, Anthony Vincent, Clem, Diariatou Kebe, Douce Dibondo, Elawan, Elisa Rojas, Fania Noël, Grace Ly

2 Le terme est orthographié à sa forme masculine, mais cela ne signifie pas qu’il se réfère uniquement à des hommes qui, dans notre cas, sont

3 Par le nombre de MicroMultiMédias (29), de créateurs et créatrices (33) et de l’ensemble de leurs pages, profils et comptes sur des plateformes (189

4 Nous avons privilégié les entretiens individuels (21), en revanche Dialna et Fanm ka chaye ko sont des MMM entretenus par deux personnes également

5 Le nouvel économiste, « Intersectionnaliste. Lauren Bastide : “Compliqué de porter un féminisme qui ne soit pas intersectionnel” », en ligne, le 7

6 La République des idées, Seuil, 2020, 112p.

7 Pauline Arrighi, « Martine Storti : “L’universalité de la domination masculine exige un féminisme universel” », Marianne, en ligne, le 12 janvier

8 Nicolas Scheffer, « DROITS LGBTQI. Une Pride intersectionnelle aura lieu ce samedi à Paris », Têtu, en ligne, le 3 juillet 2020, consulté le 22

9 Ava Djamshidi, Véronique Philipponnat, Dorothée Werner, « Exclusif – Féminicides, Egalité, première dame, crop top : Macron répond », Elle, en ligne

10 Fania Noël, Afro-communautaire. Appartenir à nous-mêmes, Paris, Syllepse, 2019, p.90.

L’entretien a eu lieu le 23 janvier 2020.

12 Expression reprise également dans le livre du collectif (Mwasi, 2018, p.28).

13 Texte de présentation du collectif Mwasi sur leur site, en ligne, consulté le 23 octobre 2020.

14 Fania Noël, entretien le 23 janvier 2020, 00:14:44.

15 Amandine Gay, Facebook live de la bibliothèque de Paris, le 19 janvier 2021, en ligne, 00:22:11.

16 Ibid.

17 Ibid.

18 Ibid.

19 Texte de présentation du compte Personnes racisées versus Grindr sur Instagram, en ligne, consulté le 23 octobre 2020.

20 Nina Dabboussi, entretien le 3 juillet 2020, 00:51:41.

21 Vénus Liuzzo, entretien le 12 février 2020, 00:19:23.

22 STRASS, Syndicat du Travail Sexuel en France

23 Créé par le Medialab de Sciences Po, Hyphe est un outil de création et nettoyage de corpus web reposant sur un crawler : http://hyphe.medialab.

24 Selon Les Dévalideuses, le terme fait référence à « la discrimination systémique subie par les personnes handicapées ». Noémie Aulombard précise

25 Paris : Stock, 2021, 240p.

27 Particulièrement la manifestation organisée par la coordination #StopLoiSecuriteGlobale, 28 novembre 2020, à Paris (République et Bastille). Pour

29 Épisode 2 : Violences policières, la parole aux jeunes de quartiers, À l'intersection, en ligne, le 22 avril 2020, 00:25:00.

30 Épisode 2 : Violences policières, la parole aux jeunes de quartiers, À l'intersection, en ligne, le 22 avril 2020, 00:25:00.

31 Programme B x Kiffe ta race, Violences policières le poids des images, Kiffe ta race, en ligne, le 8 juin 2020, 20m. Programme B est un podcast de

32 Mrs Roots, en ligne, le 8 décembre 2020.

33 #39 - Police, violence, une histoire commune, Kiffe ta race, en ligne, le 17 mars 2020, 00:44:00.

34 #11 Les féministes détestent-elles la police ? Nwar Atlantic, en ligne, le 28 avril 2020, 00:35:00.

35 Quatre policiers sont accusés d’avoir blessé Théo Luhaka, de 22 ans, lors d’une interpellation à Aulnay-sous-Bois, Seine-Saint-Denis.

36 P&B #7 | Pas de justice ? Pas de paix ! Pensées et Blablas d’Elawan, YouTube, en ligne, le 20 février 2017, 00:03:01.

37 Justice pour Théo, justice pour tou.te.s! - version courte -, Mwasi Collectif Afroféministe, YouTube, en ligne, le 30 octobre 2017, 00:02:04.

38 Rassemblement pour Théo - version longue - Mwasi Collectif Afroféministe, YouTube, en ligne, le 30 octobre 2017, 00:12:12.

39 Mrs Roots, en ligne, le 12 juin 2020.

41 Mrs Roots apparaît dans le site Afrolab, à côté de Laëtitie, en tant que co-fondatrice.

42 Un an après sa publication aux édition Cambourakis, le livre jeunesse a atteint son dixième tirage en septembre 2019.

43 Mrs Roots, Facebook live de la bibliothèque de Paris, le 19 janvier 2021, en ligne, 00:56:38.

44 Ibid.

45 Pour en savoir plus : https://afrolab.fr.

46 Pour l’origine du mot, voir : Afropea. Utopie post-occidentale et post-raciste de Léonore Miano (Grasset, 2020) et Afropéen. Carnet de voyages au

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Notes

1 À savoir : Alma, Amandine Gay, Anas Daïf, Anna Tjé, Anthony Vincent, Clem, Diariatou Kebe, Douce Dibondo, Elawan, Elisa Rojas, Fania Noël, Grace Ly, Intersections Sciences Po Aix, Jennifer Padjemi, Jo Güstin, Kiyémis, Lallab, Les dévalideuses, Marie-Julie Chalu, Melissa Marival, Miguel Shema, Mrs Roots, Ms. DreydFul, Mwasi, Nadia Bouchenni, Ndèye Fatou Kane, Nina Dabboussi, Nora Noord, Rokhaya Diallo, Sharone, Solène Vangout, Vénus Liuzzo et Wendie Zahibo. Ces acteurs travaillent dans un mode de fonctionnement individuel (20), binôme (5) ou collectif (4). Ces informations sont souvent visibles dans la section « présentation » ou « à propos » des différents espaces entretenus. Au contraire du mode individuel, le mode collectif renvoie aux MMM qui unissent un petit groupe d’individus à leur projet, tel quel Intersections Sciences Po Aix, Lallab, Les dévaliseuses et Mwasi. En revanche, même dans le cas des petits groupes, il y a souvent un seul individu responsable pour la mise à jour des pages, comptes et profils sur les RSN.

2 Le terme est orthographié à sa forme masculine, mais cela ne signifie pas qu’il se réfère uniquement à des hommes qui, dans notre cas, sont minoritaires parmi les acteurs étudiés (4/33).

3 Par le nombre de MicroMultiMédias (29), de créateurs et créatrices (33) et de l’ensemble de leurs pages, profils et comptes sur des plateformes (189).

4 Nous avons privilégié les entretiens individuels (21), en revanche Dialna et Fanm ka chaye ko sont des MMM entretenus par deux personnes également responsables du projet et qui ont préféré un entretien collectif (en binôme).

5 Le nouvel économiste, « Intersectionnaliste. Lauren Bastide : “Compliqué de porter un féminisme qui ne soit pas intersectionnel” », en ligne, le 7 mai 2021, consulté le 21 novembre 2021.

6 La République des idées, Seuil, 2020, 112p.

7 Pauline Arrighi, « Martine Storti : “L’universalité de la domination masculine exige un féminisme universel” », Marianne, en ligne, le 12 janvier 2021, consulté le 21 novembre 2021.

8 Nicolas Scheffer, « DROITS LGBTQI. Une Pride intersectionnelle aura lieu ce samedi à Paris », Têtu, en ligne, le 3 juillet 2020, consulté le 22 novembre 2021.

9 Ava Djamshidi, Véronique Philipponnat, Dorothée Werner, « Exclusif – Féminicides, Egalité, première dame, crop top : Macron répond », Elle, en ligne, le 1er juillet 2020, consulté le 22 novembre 2021.

10 Fania Noël, Afro-communautaire. Appartenir à nous-mêmes, Paris, Syllepse, 2019, p.90.

L’entretien a eu lieu le 23 janvier 2020.

12 Expression reprise également dans le livre du collectif (Mwasi, 2018, p.28).

13 Texte de présentation du collectif Mwasi sur leur site, en ligne, consulté le 23 octobre 2020.

14 Fania Noël, entretien le 23 janvier 2020, 00:14:44.

15 Amandine Gay, Facebook live de la bibliothèque de Paris, le 19 janvier 2021, en ligne, 00:22:11.

16 Ibid.

17 Ibid.

18 Ibid.

19 Texte de présentation du compte Personnes racisées versus Grindr sur Instagram, en ligne, consulté le 23 octobre 2020.

20 Nina Dabboussi, entretien le 3 juillet 2020, 00:51:41.

21 Vénus Liuzzo, entretien le 12 février 2020, 00:19:23.

22 STRASS, Syndicat du Travail Sexuel en France

23 Créé par le Medialab de Sciences Po, Hyphe est un outil de création et nettoyage de corpus web reposant sur un crawler : http://hyphe.medialab.sciences-po.fr/.

24 Selon Les Dévalideuses, le terme fait référence à « la discrimination systémique subie par les personnes handicapées ». Noémie Aulombard précise que c’est le fait d’« ériger le corps valide comme modèle auquel le corps handicapé doit se conformer » qui caractérise le « validisme » (Aulombard, 2019, p. 131).

25 Paris : Stock, 2021, 240p.

27 Particulièrement la manifestation organisée par la coordination #StopLoiSecuriteGlobale, 28 novembre 2020, à Paris (République et Bastille). Pour en savoir plus : https://stoploisecuriteglobale.fr/.

29 Épisode 2 : Violences policières, la parole aux jeunes de quartiers, À l'intersection, en ligne, le 22 avril 2020, 00:25:00.

30 Épisode 2 : Violences policières, la parole aux jeunes de quartiers, À l'intersection, en ligne, le 22 avril 2020, 00:25:00.

31 Programme B x Kiffe ta race, Violences policières le poids des images, Kiffe ta race, en ligne, le 8 juin 2020, 20m. Programme B est un podcast de Binge Audio présenté par Thomas Rozec.

32 Mrs Roots, en ligne, le 8 décembre 2020.

33 #39 - Police, violence, une histoire commune, Kiffe ta race, en ligne, le 17 mars 2020, 00:44:00.

34 #11 Les féministes détestent-elles la police ? Nwar Atlantic, en ligne, le 28 avril 2020, 00:35:00.

35 Quatre policiers sont accusés d’avoir blessé Théo Luhaka, de 22 ans, lors d’une interpellation à Aulnay-sous-Bois, Seine-Saint-Denis.

36 P&B #7 | Pas de justice ? Pas de paix ! Pensées et Blablas d’Elawan, YouTube, en ligne, le 20 février 2017, 00:03:01.

37 Justice pour Théo, justice pour tou.te.s! - version courte -, Mwasi Collectif Afroféministe, YouTube, en ligne, le 30 octobre 2017, 00:02:04.

38 Rassemblement pour Théo - version longue - Mwasi Collectif Afroféministe, YouTube, en ligne, le 30 octobre 2017, 00:12:12.

39 Mrs Roots, en ligne, le 12 juin 2020.

41 Mrs Roots apparaît dans le site Afrolab, à côté de Laëtitie, en tant que co-fondatrice.

42 Un an après sa publication aux édition Cambourakis, le livre jeunesse a atteint son dixième tirage en septembre 2019.

43 Mrs Roots, Facebook live de la bibliothèque de Paris, le 19 janvier 2021, en ligne, 00:56:38.

44 Ibid.

45 Pour en savoir plus : https://afrolab.fr.

46 Pour l’origine du mot, voir : Afropea. Utopie post-occidentale et post-raciste de Léonore Miano (Grasset, 2020) et Afropéen. Carnet de voyages au cœur de l’Europe noire de Jonhy Pitts (Massot, 2021).

Illustrations

Tableau 1 : Récapitulatif du terrain3

Tableau 1 : Récapitulatif du terrain3

Figure 1 : Connexion hyperlien entre les MMM du corpus, le 11 février 2020

Figure 1 : Connexion hyperlien entre les MMM du corpus, le 11 février 2020

Figure 2 : Publication sur Instagram

Figure 2 : Publication sur Instagram

Story de Grace Ly, consultée le 7 décembre 2020 ; de Diariatou Kebe, consultée le 7 décembre 2020 ; de Jo Güstin, consultée le 9 mars 2021 ; et de Nadia Bouchenni, consultée le 2 avril 2021

Figure 3 : Publication sur Instagram

Figure 3 : Publication sur Instagram

À l’intersection du 27 novembre 2020 ; Instagram Sory de Kiffe ta race du 27 novembre ; et Instagram Story de Mrs Roots du 8 décembre 2020

Figure 4 : Publication Instagram d’Atayé

Figure 4 : Publication Instagram d’Atayé

Du 29 avril 2018, sur la première séance de l’atelier d’écriture créative « De quelle couleur est ma peau noire », à laquelle nous avons pu participer, consultée le 18 juillet 2021

References

Electronic reference

Jaércio Da Silva, « Faire de l’intersectionnalité une « cause » : l’émergence d’une communauté d’action sur le web », PasserelleSHS [Online], 1 | 2024, Online since 14 December 2023, connection on 21 November 2024. URL : https://ouest-edel.univ-nantes.fr/passerelleshs/index.php?id=225

Author

Jaércio Da Silva

chercheur Post-doctorant, Université Panthéon-Assas

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