De l’herméneutique de l’architecture : L’interprétation des typologies architecturales au cœur du sens commun

DOI : 10.48649/pshs.333

Résumé

Le présent article initie une réflexion sur l’interprétation de l’architecture comme objet sociosymbolique. La question est d’abord abordée sous l’angle d’une linguistique de l’architecture pour ensuite se tourner vers une herméneutique classique et une analogie entre la notion de concepts chez Ernst Cassirer et les typologies architecturales. Il s’inscrit dans une démarche méthodologique pour identifier les modes de formation du sens commun sur l’architecture et sur l’influence de celui-ci sur la production contemporaine d’édifices. L’article propose la juxtaposition de lectures classiques de l’herméneutique et de réflexions sur l’environnement bâti pour proposer une potentielle méthode d’interprétation de l’architecture.

Index

Mots-clés

Herméneutique, architecture, interprétation, environnement bâti, typologies architecturales

Plan

Texte

L’Étude de l’architecture comme science de la culture.

Gio Ponti, dans un élan poétique passionné, écrivait dans son recueil In Praise of Architecture, que l’œuvre architecturale se distingue de celle de l’ingénierie par sa formalité circonscrite, terminée, c’est-à-dire par les contours qui en font une œuvre complétée1, à laquelle on ne pourrait ajouter ou enlever le moindre élément sans en altérer l’harmonie et l’intégrité. A contrario, Ponti (1960) qualifiait l’œuvre d’ingénierie comme celle à laquelle on peut ajouter ou retirer un étage, en changer les dimensions, en modifier l’empreinte au sol, sans que notre perception du bâtiment ne soit altérée. Par cette opposition, l’architecte italien traçait une ligne claire entre l’édifice dont les proportions et les compositions sont ordonnancées, et celle d’un gratte-ciel dont le nombre d’étages n’est déterminé que par la capacité technique d’une époque à lui ajouter un étage2.

Cette opposition entre ingénierie et architecture n’est pas née dans l’esprit de Ponti en 1960 ; cette querelle, issue de la naissance même du génie comme discipline au cours du siècle de l’industrialisation, fut d’ailleurs le nerf d’une guerre tendue au XIXsiècle3. Guerre qui semble par ailleurs perdurer aujourd’hui dans la pratique contemporaine des disciplines de l’aménagement. Or, cette distinction entre les deux disciplines m’apparaît tenir à une opposition beaucoup plus fondamentale : celle d’une opposition entre sciences de la culture et sciences de la nature. Dilthey (1988) disait à ce sujet, que « dans un cas [la science] accède à la compréhension d’un objet spirituel, dans l’autre accède à la connaissance de l’objet physique »

Autrement dit, que les sciences de la culture s’intéressent à la signification des objets, alors que les sciences naturelles s’intéressent à leurs qualités physiques. Analogiquement, nous pourrions comprendre que l’étude de l’architecture4, comme science de la culture, s’interroge sur l’interprétation et la signification sociale de l’environnement bâties, à sa relation intrinsèque avec les individus (à travers une médiation symbolique), alors que l’ingénierie, elle, se préoccupe des qualités physiques, mathématiques des bâtiments. À ce sujet, Louis Khan disait d’ailleurs que la qualité première de l’architecture est d’émouvoir (Papanastasiou, 2015), alors que Peter Zumthor (2021) affirme que c’est l’atmosphère qui définit l’architecture. Ainsi, l’architecte ne s’intéresse-t-il pas directement à la composition chimique du béton ni au dimensionnement de la structure d’un édifice : il s’attarde à sa perception, à l’expérience esthétique, tectonique, que cet élément structurel dégage ; à son ordonnancement dans le tout que constitue l’édifice.

Nous pourrions, pour résumer, affirmer que l’étude du bâtiment à l’aune du génie s’intéresse donc aux propriétés physiques de l’objet ; l’étude de l’architecture s’intéresse, elle, à sa portée symbolique (au sens large), c’est-à-dire selon laquelle l’édifice opère sur les individus, sur les concepteurs, acteurs du projet architectural et usagers. Et bien que cette distinction disciplinaire ne soit pas empiriquement toujours aussi catégorique, ce postulat permet de tracer les contours de la présente réflexion ; il permet de définir et de circonscrire une certaine essence de l’architecture (réductrice, j’en conviens) stable et manipulable et de l’isoler d’un ensemble de variables. Ce positionnement réflexif sur l’architecture comme science du sens nous permet alors d’affirmer que c’est en sa qualité de science de la culture que l’étude de l’architecture s’intéresse à l’interprétation, ou pour paraphraser Dilthey (1995), à la compréhension de l’édifice.

Il en va de même avec l’esthétique. J’ai devant moi l’œuvre d’un poète. Elle est constituée de lettres, elle est composée par des typographes et imprimée par des machines. Mais l’histoire littéraire et la poétique n’ont affaire qu’au rapport entre cet ensemble sensible de mots qu’ils expriment. Ce qui est décisif, ce ne sont pas les processus internes au poète, c’est un ensemble créé au sein de ces processus, mais séparable d’eux. L’ensemble que constitue un drame consiste en une relation spécifique de la matière, du sentiment poétique, du thème, du récit et des instruments de la représentation.

À l’instar de l’analyse d’un poème qui n’est pas l’étude de la presse à imprimer ou du procédé des pâtes et papiers, l’architecture (postulée comme science de la culture) n’est pas l’étude des composantes physiques d’un bâtiment, mais bien de leur portée symbolique et de leur esthétique dans son acception primale, c’est-à-dire, de celle de la perception des sens. Et pour continuer cette analogie entre poésie et architecture, ce qui intéresse la compréhension de l’objet n’est pas non plus le discours interne de l’architecte comme expression psychologique de son travail, mais bien l’existence de l’objet architectural dans un contexte. Ainsi, « la compréhension de cet esprit n’est pas une connaissance psychologique. Elle consiste à remonter à un produit spirituel à partir d’une structure et d’une normativité qui lui sont propre » (Dilthey, 1988).

Autrement dit, interpréter l’architecture n’est pas l’interprétation psychologique de l’architecte; il s’agit plutôt d’interpréter les structures et les relations symboliques de l’édifice dans le monde social. Bien entendu, dans cette interprétation, il est primordial d’entendre le point de vue du concepteur, de lire ce qu’il écrit, d’entendre ce qu’il dit de l’objet, mais si l’étude de l’architecture doit être une science de la culture, c’est à un ensemble d’autant plus grand d’éléments contextualisant l’objet dans un royaume symbolique que nous devons nous arrêter.

Ainsi, si l’étude de l’architecture s’intéresse à l’interprétation de l’objet bâti, elle le fait certainement en se préoccupant d’un ensemble de formes symboliques propres à l’architecture. C’est donc en s’intéressant à une interprétation de l’architecture à travers son expression symbolique que nous pouvons parler d’une herméneutique de l’architecture. Autrement dit, c’est en s’attardant aux appareillages sémantiques propres à la production d’édifices (signifiants et socialement situés) dans notre environnement bâti que nous pouvons déceler, à travers leur interprétation, les intentions réelles derrière leur conception, leurs ancrages dans le monde social et leur effectivité sur ce dernier. Or, s’il est certain qu’une herméneutique de l’architecture peut être fondée sur l’interprétation de ces éléments signifiants, une question demeure entière : à partir de quelle logique, de quel appareillage méthodologique, pouvons-nous circonscrire ces éléments signifiants pour les interpréter ?

L’ambition de cette courte réflexion s’élève donc devant nous : trouver un angle d’attaque pour amorcer une méthode d’interprétation de l’environnement bâti. Bien entendu, il ne saurait être question ici de rédiger un traité sur une potentielle herméneutique de l’architecture ; il s’agit plutôt d’en éclairer les contours, de mettre en lumière de possibles avenues qui saurait nous mener à une réflexion sur l’étude de l’architecture à travers les techniques de la philosophie herméneutique. Cet essai s’inscrit dans un travail doctoral sur les dynamiques sociales qui entourent l’architecture, notamment sur les effets d’une certaine doxa (nord-américaine) de l’architecture sur la production d’édifices. Cette réflexion sur l’angle herméneutique de l’architecture est donc le fruit d’une quête méthodologique qui permettrait d’éclairer les manières dont les individus interagissent symboliquement avec l’environnement bâti, en intègrent la signification, et, inversement, de quelle manière ce sens assimilé influence le cadre bâti. Or, pourquoi ne nous attaquerions-nous pas à l’objet de prédilection qui a été l’objet historique de l’herméneutique, c’est-à-dire, le texte ? Autrement dit, si nous devons nous poser la question d’une herméneutique de l’architecture, commençons par voir si nous ne pouvons pas assimiler l’architecture à la forme symbolique la plus distinctive et fondamentale de l’espèce humaine : le langage.

L’architecture : un langage ?

« Architecture is a language and I think you have to have a grammar in order to have a language and if you are good at that you speak a wonderful prose and if you are really good you can be a poet »5.

Il ne fait aucun doute que lorsque l’architecte moderniste Mies van der Rohe prononçait cette affirmation, il s’agissait d’une métaphore entre l’architecture et le langage plus que d’une théorie sémiologique. En effet, dans la seconde partie de sa carrière, c’est-à-dire sa période américaine, Mies van der Rohe a tenté de développer une approche l'inguistique de l’architecture à travers la mise en composition d’éléments tectoniques répétitifs simples. À travers cette recherche formelle, l’architecte cherchait à mettre en évidence les éléments constructifs du bâtiment et à exprimer une poésie de la construction.

Pour citer une fois de plus Dilthey (1995): « [l’herméneutique] est l’art d’interpréter le monument écrit ».

Ainsi, il serait tentant de cherche une voie vers l’interprétation de l’architecture à travers l’assimilation de l’architecture à une forme de langage. Or, au-delà de la métaphore, pouvons-nous considérer l’architecture comme un langage ? Pouvons-nous travailler l’architecture comme un monument écrit, c’est-à-dire un objet symbolique qui serait le fruit d’un travail d’écriture linguistique? Il existe très certainement un débat entourant une telle lecture de l’environnement bâti et je nous propose ici de l’explorer brièvement.

Il ne fait aucun doute que l’architecture opère dans un univers de symboles et, par extension, est le fruit d’opérations signifiantes. À ce sujet, Nelson Goodman (1985) disait « A building is a work of art only insofar as it signifies, means, refers, symbolizes in some way »6

Or, cette affirmation sur ce qui fait d’un bâtiment une œuvre d’architecture n’est pas étonnante : à l’aune de notre réflexion précédente, l’étude de l’architecture serait, après tout, une étude de l’interprétation de l’objet architectural. Ainsi, dans son acception primordiale, l’esthétique de l’architecture se fait à travers un ensemble d’éléments signifiants. Cela étant dit, pour Goodman, l’expérience de l’architecture n’est pas tout à fait celle d’une autre forme d’art, en ce qu’elle est d’une part située dans un contexte physique dont elle ne peut, en théorie, être sortie (en opposition à une toile qui serait déplacée de galerie en galerie, ou même un concerto qui pourrait être joué dans deux salles d’orchestre simultanément) et que le bâtiment a, dans la plupart des cas, une fonction pratique (ibid.). L’équilibre entre fonction pratique et caractère esthétique s’effectue à différents degrés dans un bâtiment et détermine la valeur signifiante d’un objet bâti. Nous n’avons, pour nous en convaincre, qu’à opposer un entrepôt de serveurs informatiques et un pavillon déployé dans le cadre d’une exposition universelle, le premier relevant davantage d’un édifice fonctionnel, et le second d’un objet à haute teneur symbolique.

Pour Goodman, un bâtiment peut signifier de trois manières. D’une part, il peut dénoter (denotation), c’est-à-dire représenter explicitement, dans un formalisme clair, une narration, une description ou une représentation picturale plus ou moins explicite. (ibid.) Dans son cas le plus extrême, le bâtiment qui serait absorbé par cette expression symbolique littérale deviendrait ce que Robert Veturi appellerait un canard7 (duck) (Venturi et al., 1972). Autrement dit, la première forme d’expression symbolique d’un édifice est celle de la transcription d’un référent dénoté dans son expression formelle et ornementale, et dans la manifestation ultime de la dénotation, le symbole devient la forme.

Le second type d’expression symbolique du bâtiment est l’exemplification (exemplification). Dans cette formulation, l’édifice se fait l’ échantillon d’un univers symbolique, il en donne un exemple (Goodman, 1985). C’est par ce travail que s’exprime principalement la tectonique, c’est-à-dire l’explicitation de la construction et de la poésie entourant l’art de la construction. C’est par exemplification tectonique que Mies van der Rohe utilise des poutres à ailes comme meneaux des fenêtres du campus de l’Institut des Technologies de l’Illinois (IIT) ou, du Westmount Square, à Montréal. Il met en évidence l’ossature d’acier du bâtiment (autrement inexposable en raison d’enjeux techniques) en utilisant un ornement comme exemple de la logique constructive. Les meneaux des fenêtres ne sont pas structuraux dans le travail du célèbre architecte allemand : ils servent simplement à exemplifier la stratégie structurelle du bâtiment. C’est cette même exemplification tectonique qui permet les recherches formelles libres que Peter Zumthor fait à la chapelle de Bruder Klaus Field. La volumétrie de cette dernière n’est pas une référence formelle à un quelconque objet dans son environnement ou bien la dénotation d’une signification abstraite, mais bien l’explicitation de la méthode de construction. Sa forme est symbolique dans la mesure où elle nous explique, par l’exemple, comment l’architecte suisse fabrique une chapelle en amoncelant des troncs d’arbres, en effectuant différentes coulées de béton composé d’agrégats de couleurs variables issues de l’environnement immédiat et en brulant pendant des jours ces troncs d’arbre, pour créer un espace évidé, à l’atmosphère sombre, propice au recueillement. L’exemplification, dans ce cas particulier, narre la méthode de fabrication de l’objet architectural et nous en livre les secrets.

Finalement, la troisième forme de travail de symbolisation en architecture s’effectue par l’expression (expression). Pour Goodman, l’expression est similaire à l’exemplification, mais relève davantage de mise en lumière de propriété métaphorique des objets (ibid.). Autrement dit, l’expression est la mise en exergue (par la forme, l’ornementation, la matérialité, la spatialité) de propriétés du bâtiment qui ne relève pas de sa tectonique ou de ses qualités physiques, mais faisant référence à sa construction comme métaphore de sa fonction ou de son rôle social. Ainsi, la flèche d’une église n’est pas l’exemplification de la capacité de construire une tour pointue, mais bien l’expression du rôle symbolique de l’Église comme centre communale, lieu de rassemblement des ouailles. La flèche participe à l’expression de la fonction d’église. De la même manière, lorsque les associés de KPMB Architects et de Daoust Lestage Lizotte Stecker participent au concours d’architecture pour un nouveau musée de l’Holocauste à Montréal, ils expriment le rythme volumétrique du triplex montréalais. Ils ne fabriquent pas des unités d’habitation ouvrières du Montréal du tournant du XXe siècle ; ils font un devoir de mémoire et expriment, à travers la volumétrie du plexe montréalais, une métaphore de la Montréalité (Chupin, 2022). Finalement, l’expression peut permettre d’identifier l’époque et le contexte d’un bâtiment, car celui-ci exprime, entre autres par ses ornementations et ses choix stylistiques, des tendances et des sensibilités propres à un contexte sociohistorique donné.

À l’aune de ce travail de classification des modes d’opérationnalisation symbolique des bâtiments, il ne fait plus aucun doute que l’architecture opère de manière signifiante, qu’elle s’exprime à travers des symboles. Mais est-ce suffisant pour parler de langage de l’architecture ? Après tout, Goodman (1985) n’affirme-t-il pas lui-même « building are not texts, or pictures and usually do not describe or depict »8.

C’est d’ailleurs sur cette base que s’appuie la critique que Donougho adresse au texte de Goodman. D’abord, ce dernier ne nie pas la qualité signifiante de l’architecture :

Architecture means in the basic sense of indicating both the existence (past or present) and the nature of its makers. It operates, that is, as an indexical sign (in Peirce’s terminology) within a causal or existential framework: smoke indicates fire, clouds may indicate rain, and so on. In the same way a building may indicate to us what uses or function it has (weather by design or acquisition)9.

Ainsi, l’architecture est sans aucun doute une expression symbolique et l’interprétation d’un édifice peut nous permettre d’en situer l’origine et la fonction (pragmatique ou culturelle). Cela étant dit, sur la question de l’architecture comme langage, l’auteur est plus sceptique :

If the architect is speaking to us through his buildings, it is a remarkably clumsy way of doing so. We are not even sure what sort of things he is trying to say, or if it is he that is speaking. Again, it is not clear what the grammar or vocabulary might be. Nor can we “translate” from one language into another10 .

Pour lui, l’architecture ne peut pas être considérée comme un langage, puisqu’elle n’est pas réellement un mode de communication. Autrement dit, à travers l’édifice, l’architecte n’insuffle pas de propos qui sont hors du bâtiment lui-même, il n’exprime pas des idées qui ne sont pas directement liées à la fonction du bâtiment (fonction à la fois pragmatique des usages, mais aussi de l’esthétique, de l’émotion et de relations idéologiques). Ainsi, si l’édifice interagit sans aucun doute de manière symbolique avec la collectivité et son environnement, il n’est pas une façon efficace et tangible de communiquer des idées à ceux-ci. De plus, l’architecture, en opposition au langage, n’opère pas sur une base grammaticale et lexicale ; elle n’opère pas à partir de lexème ou de morphème (ibid.). L’architecture ne serait donc pas une forme de langage, car elle n’en possède ni les modes d’opérationnalité ni la finalité communicationnelle. Ainsi, si nous tentons de caractériser le langage de l’architecture à l’instar de la démarche de Mies van der Rohe sur son Architecture as a langage, nous verrions rapidement que les éléments fondamentaux de ce langage sont en réalité des éléments constructifs (colonnes, murs, plans, etc.) et n’opèrent pas comme les symboles d’un langage, mais plutôt comme une catégorisation d’éléments architecturaux et leur composition.

De la même manière que Donougho nous informe de l’incapacité de traduire l’architecture vers un langage naturel, Roger Scruton ajoute :

If it were true that architecture was a language (or, perhaps, a series of languages), then we should know how to understand every building, and the human significance would no longer be in question. Moreover, the significance would be seen as an intrinsic property of buildings, and not as some external or fortuitous relation.11

Scruton ajoute de l’eau au moulin de Donougo à l’effet que l’architecture ne peut être considérée comme un langage dans la mesure où elle n’est pas un acte de communication et que sa traduction verbatim est impossible. C’est donc faire fausse route, pour les deux auteurs, que de chercher l’interprétation de l’architecture en l’assimilant à un langage ; ce serait scientifiquement infructueux, car impossible à fonder sur une réalité épistémologique. Ainsi, il n’existerait pas de base commune de compréhension de l’architecture : pas de règles et de normes standardisées permettant la compréhension mutuelle immédiate. Pour reprendre un lexique qui est familier à la linguistique saussurienne, il n’existerait pas de structure universelle permettant l’interprétation de l’architecture. Et si, selon Scruton, il existe certainement des règles compositionnelles plus ou moins explicites en architecture, il n’existe pas de syntaxes définitives, puisque, selon lui, le langage dispose d’une telle syntaxe dans la mesure où il émet des énoncés vrais (au sens wittgensteinien), c’est-à-dire minimalement en relation dialectique avec la vérité. A contrario, il n’existerait pas d’énoncé vrai en architecture, et les règles compositionnelles n’ont pas de relation intrinsèque avec une quelconque vérité sur le monde ; les bâtiments ne sont pas des énoncés syntaxiques.

Peut-être que la difficulté d’assimiler l’architecture à un langage relève donc plutôt d’un problème de référence. Pour reprendre ce que nous avons vu de Donougho plus haut, l’architecture agit comme un indexe au sens de Pierce. Ainsi, le sens de l’architecture ne relèverait pas d’un langage au sens sémiologique. Pourtant l’analogie est tentante pour de nombreux architectes et penseurs : d’une part, l’architecture ordonne des éléments formels, plus ou moins téléologiquement liés à leur fonction, dans une organisation pouvant porter un sens plus ou moins conceptuel. Autrement dit, l’architecte agence des formes, des éléments constructifs et ornementaux pour créer une harmonie formelle qui peut se rattacher à la fonction de l’élément constructif lui-même, à l’histoire de l’architecture, à des précédents ou tout simplement à des significations purement symboliques. Ainsi, l’architecte ordonnance des éléments qui sont, dans leur référent, de différentes natures. Mais c’est certainement ici que l’analogie s’arrête. Le bâtiment ne parle jamais que de lui-même, il ne narre pas le monde de manière explicite, langagière. Les symboles qu’il utilise sont des indices qui nous aident à le situer, à interpréter l’intention du concepteur, du donneur d’ouvrage ou à celle de la collectivité dans lequel il s’inscrit, à l’associer à un contexte sociohistorique ou simplement à le rattacher à un courant stylistique. Mais il ne traduit pas ces informations ; il ne nous les communique pas. En intégrant une corniche dorique, l’architecte associe son édifice à une tradition et celle-ci peut nous orienter vers le dialogisme que l’édifice entretient avec la société, mais d’aucune façon cette corniche n’a de sens linguistique. Elle n’exprime pas cette relation de manière référentielle, car elle n’est pas un mot. Elle n’est qu’un symptôme d’une intention qu’il nous reste à assimiler à une action socialement signifiante.

Somme toute, ces arguments et ces positions ne sont que quelques-unes d’une pléthore alimentant le débat faisant rage depuis des décennies autour de l’assimilation de l’architecture à un langage. Il semblerait donc que d’affirmer que l’architecture est un langage relève davantage d’une métaphore sur les règles compositionnelles, l’expression formelle et la portée signifiante de l’architecture, que sur une réelle analogie. Autrement dit, il serait hasardeux de tenter une interprétation de l’architecture à l’aune de cette analogie avec les langues naturelles ; il serait risqué d’entreprendre une réelle recherche scientifique du sens de l’architecture sur un fondement épistémologique si incertain. Or, s’il apparaît que l’architecture n’est pas, à proprement parler, un langage, elle demeure une expression symbolique, agissant dans la société grâce à un ensemble d’opérations tout aussi symboliques. À ce sujet, Donougho (1987) indique : « Nevertheles, the polarity of code and message provides a useful, indeed indispensable approach to the problem of significance of architecture »12.

Ainsi, il demeure tout à fait pertinent de chercher à en interpréter la portée symbolique à travers ce que nous tentons ici de cerner, c’est-à-dire, une herméneutique de l’architecture.

S’il n’existe donc pas de structure linguistique extérieure propre à l’architecture, il existe certainement des structures sociales entourant la pratique de l’architecture et sa perception à l’intérieur de la société, ce que Pierre Bourdieu (1980) nommerait certainement des probabilités d’actions dans lequel la pratique de l’architecture s’ancre. Autrement dit, bien que l’architecture ne soit pas un langage, il apparaît aussi absurde de considérer qu’il n’existe pas un ensemble de règles, ou du moins de normes d’actions, propre à la fois à la pratique de l’architecture qu’à son interprétation par la collectivité. Citons d’ailleurs ce dernier :

C’est dans la mesure, et dans la mesure seulement où les habitus sont l’incorporation de la même histoire — ou, plus exactement, de la même histoire objectivée dans des habitus et structures — que les pratiques qu’ils engendrent sont mutuellement compréhensibles et immédiatement ajustées aux structures et aussi objectivement concertées et dotées d’un sens objectif à la fois unitaire et systématique, transcendante aux intentions subjectives et aux projets conscients, individuels ou collectifs. ibid.

C’est donc dire que, bien que l’architecture ne soit pas un langage et qu’elle n’opère pas à travers des structures langagières typiques, il n’en demeure pas moins qu’un ensemble de structures propres à l’environnement bâti sont internalisées sous forme d’habitus (par l’architecte, le critique, le donneur d’ouvrage, l’usager, le passant, etc.) et servent de base commune à l’interprétation de l’architecture. C’est donc vers celles-ci que nous nous tournons pour circonscrire les contours d’une herméneutique de l’architecture. C’est sur une forme de base commune, symbolique, structurante, qui permet l’interprétation de l’architecture par les acteurs sociaux que nous chercherons le lieu de l’interprétation. C’est ici que nous chercherons l’intentionnalité derrière la production architecturale.

L’intentionnalité de l’architecture

Nous comprenons maintenant que l’architecture opère dans un univers symbolique ; cherchons maintenant comment interpréter ces appareillages de symboles afin de mieux saisir les relations que l’environnement bâti entretient avec la société. Ainsi, si l’objet de cette démarche est de tracer les contours d’une herméneutique de l’architecture, c’est pour mieux saisir le sens des édifices et pour comprendre comment ceux-ci entrent en interaction avec les humains. Nous devons donc tenter de comprendre l’intentionnalité derrière l’architecture, car c’est ici qu’en réside la valeur signifiante.

L’intégration symbolique de l’architecture se fait de plusieurs façons que nous pourrions discerner à l’intérieur de trois grandes familles d’opérationnalisation. Nous pourrions premièrement identifier deux modes d’intégration de l’intentionnalité : des vecteurs intentionnels, nés de l’action consciente du concepteur ou du donneur d’ouvrage ; puis une intentionnalité inconsciente s’inscrivant dans un dialogisme référentiel internalisé. Puis, il existe une symbolisation accidentelle où la signification d’un objet se retrouve attribuée (voir pervertit) par des facteurs externes à sa conception.

La symbolisation intentionnelle est certes celle qui anime le plus les architectes et donneurs d’ouvrage. C’est celle où, durant la conception, une atmosphère, une métaphore, un référent est choisi, consciemment, par les maîtres d’œuvre du projet. Il peut ici s’agir de métaphores plus ou moins explicites qui sont intégrées à l’objet : la croix devant l’église pour identifier une fonction religieuse, l’utilisation de brique pour s’harmoniser à l’environnement bâtit existant, l’appropriation consciente de dispositifs architecturaux inspirés des grands canons de l’architecture. Dans cette opération symbolisante, l’architecte s’inspire de précédents, inscrit dans l’objet construit des images plus ou moins figuratives pour attribuer au bâtiment une signification et orchestre volontairement la perception et l’interprétation du bâtiment. Il inscrit un discours signifiant dans la brique et le mortier pour asseoir un narratif conscient. C’est ici que le sens recherché par le concepteur ou son client est exprimé volontairement et apposé sciemment à l’objet.

Toutefois, cette intégration du symbole n’est pas toujours consciente ou volontaire. Le sens symbolique du bâtiment peut aussi venir de traditions internalisées, de références issues de l’histoire, de l’éducation et de l’expérience des acteurs de la conception, sans en prendre pleinement conscience. C’est ici le lieu des écoles de pensées, des styles, de la tradition et, ce sur quoi nous reviendrons plus tard, de la typologie architecturale. Alors que l’intentionnalité consciente peut être recherchée dans le discours que tiennent l’architecte et le donneur d’ouvrage sur l’édifice, cette intégration symbolique involontaire se recherche dans le contexte de l’édifice et le milieu duquel sont issus les acteurs du projet. Autrement dit, l’interprétation se fait, dans un cas par l’analyse et la lecture directe du discours des acteurs, alors que dans l’autre elle se fait par la lecture située de leurs actions.

Finalement, il existe une intégration symbolique qui est externe à la conception de l’objet, qui est intégré à celui-ci par association. Si les deux premières relèvent de l’intentionnalité plus ou moins consciente de l’architecte et du donneur d’ouvrage, la troisième nous vient des usagers, de la collectivité, du passant, bref, de la société qui interagit avec l’édifice. À ce sujet, Goodman (1995) nous prévient aussi d’une signification qui pourrait être involontaire de la part du concepteur ou du donneur d’ouvrage d’un bâtiment. En effet, un objet architectural peut devenir le symbole d’une discorde, d’un conflit social ou d’une crise quelconque, ou à l’inverse, celui d’une résistance commune ou encore d’une fierté locale. C’est ainsi que les maîtres d’œuvre de l’ancienne Maison de Radio-Canada peuvent y voir le symbole du Québec et de sa métropole entrant dans la modernité et l’ère des télécommunications, et finalement voir leur œuvre devenir l’emblème des premières vagues d’expropriation des quartiers populaires pour aseptiserla ville de la pauvreté.

C’est donc dire que ce sont ces intentionnalités de différentes natures que nous devons examiner et interpréter. L’intentionnalité explicite et volontaire des acteurs du projet, celle de la collectivité réceptrice du projet, mais aussi l’intentionnalité involontaire, celle que les acteurs de bâtiment projettent, sans le vouloir, sur l’objet architectural. Pour nous rattacher une fois de plus à la métaphore du langage, nous pourrions citer Mikhaïl Bakhtine (2006) qui identifie un mécanisme tout similaire de symbolisation, mais cette fois en parlant du discours :

Le mot du langage est un mot semi-étranger. Il ne le sera plus quand le locuteur y logera son intention, son accent, en prendra possession, l’initiera à son aspiration sémantique et expressive. Jusqu’au moment où il est approprié, le discours n’est pas dans un langage neutre et impersonnel (car le locuteur ne le prend pas dans un dictionnaire !) ; il est sur des lèvres étrangères, dans des contextes étrangers, au service d’intentions étrangères, et c’est là qu’il faut le prendre et le faire « sien ».

Ainsi, cette intentionnalité involontaire qui est imprégnée dans l’édifice par les concepteurs, inconsciemment, est issue du bagage des acteurs du projet, de l’architecte, du donneur d’ouvrage ; elle s’inscrit dans la tradition qu’ils portent et qu’ils perpétuent, inconsciemment. Le symbole, qu’il soit inscrit dans le mortier par réflexion consciente ou non, n’est jamais idiosyncrasique parce qu’il n’est signifiant que s’il se réfère à un univers symbolique partagé avec d’autres. Ainsi, l’architecte loge son intention dans l’édifice en s’appropriant des codes qui le précèdent. Mais ces codes ne sont, une fois de plus, pas toujours conscients, pas toujours compris et encore moins toujours volontaires. Parmi ces univers symboliques internalisés, la typologie architecturale me semble une avenue prometteuse vers une interprétation de l’architecture. Parce que les types forment, en eux-mêmes, des ensembles symboliques plus ou moins homogènes, partagés entre les acteurs sociaux, ils s’inscrivent dans l’environnement bâti souvent à notre insu, pérennisant notre compréhension de celui-ci. Ainsi, comprendre les liens qui unissent l’architecte aux types qu’il intègre à son bâtiment, mais aussi ceux qui alimentent les attentes de la collectivité et des donneurs d’ouvrage est essentiel pour cerner l’intentionnalité de l’architecture et, par extension, sa signification.

Les types architecturaux et leur influence sur le sens commun

La typologie (l’étude des types) s’intéresse à l’essence des formes architecturales et à leurs relations à la fonction de l’édifice. Pour résumer grossièrement ce que nous pourrions ici nommer type, il n’y a qu’à imaginer une église. Bien que le terme église puisse définir une pléthore de bâtiments singuliers, tous uniques, tous différents les uns des autres, l’image mentale que nous nous en faisons est une évocation ontologique formelle de la fonction « église ». Autrement dit, le type église est cette image mentale, partagée, commune, internalisée par une somme d’expérience esthétique que font les acteurs sociaux des bâtiments et qui en rattache la forme à la fonction pour en faciliter la lecture ; oserait-on même dire qu’ils en permettent l’interprétation de l’usage ? Nous pourrions alors affirmer que les types architecturaux sont des concepts.

En effet, ils consistent en une forme d’abstraction des caractéristiques communes à des ensembles de bâtiment qui nous en facilitent la manipulation et la compréhension. Comme tout concept, les types ne sont pas des lois universelles, ou encore moins des archétypes d’édifices, ils sont plutôt des accentuations d’éléments architecturaux analogues entre plusieurs bâtiments de même fonction, de même époque, de même style. Ils se forment dans notre esprit par la mémoire, comme le décrit Cassirer (1977) au sujet des concepts, qui en sédimentent certaines caractéristiques pour en sublimer d’autres, afin d’isoler dans notre esprit, à travers la conceptualisation, les caractéristiques partagées entre des éléments singuliers. Ainsi, le type peut permettre entre autres des amalgames historiques (le style néo-classique, le mouvement moderne, l’architecture post-moderne), fonctionnels (la bibliothèque, la maison, la tour à bureaux), ou une combinaison des deux (la bibliothèque néoclassique, la maison mid-century modern, l’édifice à bureau post-moderne). Ainsi, le type n’est pas l’exemple patent d’un édifice exemplaire appartenant à un style ou un usage (il s’agirait ici plutôt du canon), mais bien d’une image mentale permettant à notre esprit de consolider notre perception d’un ensemble d’édifices.

Il va sans dire que ces types sont non seulement une expression formelle partagée entre différents édifices ayant en commun leur fonction, mais sont aussi une formalisation de contexte sociohistorique précis à travers lesquels ils peuvent évoluer, tout en conservant des caractéristiques communes. Ainsi, la basilique gothique Saint-Denis datant du XIIIe siècle ne correspond définitivement pas à la volumétrie, à l’ornementation et à la spatialité de l’église Notre-Dame-du-Bel-Amour conçues par Roger d’Astou dans le Québec des années 1950. Pourtant, les deux édifices partagent une symbolisation commune exprimée à travers un ensemble de dispositifs architecturaux. C’est donc cette redondance d’éléments variés qui permettent de former les types architecturaux. Au final, il n’est pas nécessaire d’écrire de toute lettre « église » sur la façade de ni l’un ni l’autre des deux bâtiments pour que nous en comprenions l’usage (et, par extension, le rôle social). Néanmoins, force est d’admettre qu’il existe ici des sous-catégories : celle de l’église gothique ; celle de l’église moderniste.

Or, c’est précisément parce que les types architecturaux sont l’accentuation de propriétés communes à un ensemble d’édifices uniques, mais partageant une fonction commune que nous pouvons déduire qu’ils consistent en des concepts tels que les définit Cassirer :

En regroupant ainsi les objets qui partagent une même propriété, en les ordonnant en classes et en répétant cette procédure autant de fois qu’on le peut, à mesure que l’on s’élève dans l’échelle des êtres, nous désignons, par une série de traits de plus en plus appuyés, un ordre et une articulation de l’être qui reproduisent la distribution des similitudes physiques répandues à travers les choses singulières.

Les bâtiments composant notre environnement bâti sont donc rattachés à un univers symbolique, ontologique même, issue de traditions. Comme Norman Crowe (1984) l’indique d’ailleurs dans son article Studies in Typologie, une des fonctions principales des typologies architecturales est la transmission de valeurs culturelles à travers l’émulation de formes familières. C’est donc dire que l’architecte qui conçoit un bâtiment fait appel à ce que Crowe identifie comme une série de solutions éprouvées à des problématiques architecturales analogues ; qu’il interagit avec les types, consciemment ou non, et en alimente son intentionnalité. Ainsi, en intégrant ces systèmes de valeurs à la formulation du bâtiment, le concepteur intègre un sens issu de tradition à son œuvre ; il la fait dialogiser avec la tradition.

Cette tradition est nécessairement porteuse de sens puisqu’elle naît de bâtiments existants qui sont eux-mêmes des vecteurs de significations. Ces types, l’architecte les emprunte donc à d’autres, ils les évoquent et formule son bâtiment en l’alimentant du travail que ceux-ci ont fait avant lui. C’est ici la notion même du dialogisme romanesque bakhtinien qu’on pourrait appliquer à l’architecture : en empruntant les expressions architecturales d’un autre, consciemment ou non, l’architecte surimpose une intentionnalité sur l’architecture qui n’est jamais neutre et qui est le jeu sociohistorique d’interprétations de l’environnement bâti et d’expériences qu’en a faites la société. Cette intentionnalité est analogue à un discours transmis dans l’architecture : elle est l’expression du sens du bâtiment, de son symbolisme. En somme, les types ne sont pas neutres et la signification qu’ils portent est saturée par l’expérience qu’en font les autres. C’est tout de moins ce que Bakhtine met en lumière concernant le dialogisme romanesque :

La conceptualisation de l’objet au moyen du discours est un acte complexe : tout objet « conditionnel », « contesté », est éclairé d’un côté, obscurci de l’autre par une opinion sociale aux langages multiples, par les paroles d’autrui à son sujet. Le discours entre dans ce jeu complexe du clair-obscur ; il s’en sature, il y révèle ses propres facettes sémantiques et stylistiques. Cette conceptualisation se complique d’une interaction dialogique, au sein de l’objet, avec les divers éléments de sa conscience sociale et verbale.

Analogiquement, les types infèrent de la signification dans l’architecture ; ils saturent les bâtiments de références plus ou moins explicites à des traditions architecturales, ainsi qu’à des expressions fonctionnelles et formelles de l’architecture.

Toutefois, puisque l’environnement bâti dialogise avec la société, il entre nécessairement dans ce que Gadamer (2016) nommerait la dialectique de la question et de la réponse. La pratique de l’architecture est nécessairement socialement située. Elle s’inscrit dans un contexte et chaque bâtiment est le sujet d’interprétation de la part du public. C’est donc parce que les fruits de l’architecture construite ne sont jamais isolés du monde social qu’ils appellent à une réponse, ou comme le formulerait Bakhtine (2016) : « Tout discours est dirigé vers une réponse, et ne peut échapper à l’influence du discours-réplique prévue ». Cette recherche de compréhension face à l’architecture s’exprime autant au niveau du donneur d’ouvrage que de la collectivité.

Force est de constater le rôle irrévocable que jouent les types architecturaux dans la réception des projets architecturaux. En constituant une base symbolique partagée entre l’architecte et la collectivité, ils constituent une base de médiation symbolique qui assure la lisibilité de part et d’autre. En leur qualité de concepts, les types sont donc internalisés et influencent notre perception de l’architecture ; c’est par l’accumulation d’expériences que nous faisons de l’environnement bâti que se forme notre compréhension de l’architecture et notre appréciation. Ainsi nous informe Cassirer (1977), les concepts sont le produit de notre perception répétée d’expériences de même nature et se frayent un chemin vers notre mémoire, accumulant une quantité d’information et en sublimant une autre, « jusqu’à leur fusion dans un ensemble unitaire et indivisible qui constitue la substance psychologique du concept ».

C’est en faisant appel à ces concepts formés dans notre mémoire que nous expérimentons l’esthétique des bâtiments. Ainsi, que ce soit l’architecte qui accumule ces expériences à travers sa formation ou sa pratique professionnelle, le client-prometteur qui l’obtient à travers une étude de marché, ou encore la collectivité qui évolue dans l’univers symbolique de sa ville, qui y vit son urbanité, qui aspire à des capitales lointaines à l’architecture magnifiée par une carte postale ou encore qui consomme des magazines de design, les types façonnent notre interprétation de ce qu’est un bâtiment, et surtout, de ce qu’il doit être. Les types forment la base d’un sensus communis13 qui fonde la base de notre jugement esthétique de l’architecture.

Comme Gadamer (1976) l’explicite bien, la mémoire n’est pas qu’une simple faculté sensorielle neutre : elle est le fondement formateur de notre perception du monde14. C’est donc dû à notre perception qui mémorise et oublie des pans entiers de notre expérience de l’environnement bâti, que se forment les concepts types, pour ainsi dire, et que ces mêmes concepts contribuent à construire notre appréciation de l’architecture. Autrement dit, ce rapport à la mémoire formatrice est, comme nous le fait comprendre Gadamer, le fondement même de notre rapport au monde, de notre capacité à l’interpréter, et l’architecture n’y fait pas exception.

Le sens commun sur l’architecture, la doxa à son sujet, est donc formé d’expériences esthétiques d’édifices et intégré sur la base de significations partagées, notamment à travers les typologies architecturales. Ce sens commun devient alors le fondement de l’appréciation collective des bâtiments et de leur interprétation et engendre cette dynamique de la question et de la réponse. La collectivité et les médias ont des attentes face aux propositions qu’ils peuvent juger acceptables dans leur environnement bâti, et celles-ci le sont parce qu’elles leur sont intelligibles. Or, elles le deviennent justement parce que nous sommes à même de les interpréter à l’aune, entre autres, de concepts typologiques qui sont eux-mêmes informés de l’environnement existant. Ainsi, quand nous entendons que nous devons créer une harmonie architecturale dans nos quartiers à valeur patrimoniale, nous devons comprendre que l’intégration de nouveau bâtiment doit se faire en accordance avec la typologie qui y est présente. Nous n’avons pour nous en convaincre qu’à penser à la patrimonialisation de quartiers comme le Plateau Mont-Royal, à Montréal, où individuellement les immeubles n’ont que très peu de valeur patrimoniale, mais l’ensemble homogène de plexes montréalais, type vernaculaire d’habitation par excellence de la métropole, recèle une valeur historique avérée, et consignée dans les règlements d’urbanisme. Or, cette valorisation historicisante de l’environnement bâti n’est nul autre que l’expectation collective d’une harmonisation à des ensembles architecturaux homogènes qui correspondent à notre expérience collective de l’environnement bâti. Notre perception de l’architecture n’est pas le fruit d’un acte réflexif logique, mais plutôt l’appel à un sensus communis : un sens commun de ce qui est et doit être un objet architectural qui compose notre ville.

En bref, les types architecturaux forment des concepts en ce qu’ils sont l’accentuation de redondances exprimées à travers de nombreux objets architecturaux analogues. Ils nous permettent de saisir et de comprendre la fonction des bâtiments et de les situer dans leur contexte sociohistorique. À travers leur évocation, le concepteur dialogise avec la société et l’histoire de l’architecture, et par le fait même exprime les systèmes de valeurs intégrés à ces types ; systèmes de valeurs qui sont eux-mêmes associés aux bâtiments à travers une somme d’expériences qu’accumulent les individus dans leur interaction continue avec l’environnement bâti. Après tout, nous dormons, travaillons, vivons et même nous déplaçons dans des édifices. Notre vie sociale est bercée par ceux-ci et en est autrement indissociable.

Les types sont finalement des bases sémantiques qui permettent de conférer du sens à l’architecture. Ils lui en confèrent d’ailleurs à tous les niveaux que nous avons déjà identifiés. D’une part, ils influencent le concepteur et le donneur d’ouvrage qui peuvent choisir, consciemment ou non, volontairement ou non, d’intégrer un type plutôt qu’un autre et donc d’insuffler une intentionnalité à l’architecture. Or, comme nous venons de discuter, ils n’influencent pas que la production de l’architecture : ils constituent une médiation à son acceptation par le public et lui confèrent un sens depuis l’extérieur de la conception. Autrement dit, la typologie, comme acte d’abstraction, consiste « au prélèvement d’un noyau général imposé par la récurrence uniforme de son contenu au cours des variations subies par les éléments particuliers » (Cassirer, 1977) et identifie les types comme source sémantique de l’architecture, jouant à tous les niveaux d’intégration symbolique aux bâtiments.

Ce sont donc ces concepts types qui éclairent notre expérience et notre acceptation des projets architecturaux qui nous sont proposés. Autrement dit, la compréhension typologique de l’architecture n’est pas unique aux concepteurs, ni même aux donneurs d’ouvrages, mais appartient à tous les membres de la société. Ces concepts deviennent donc des lieux communs, des univers symboliques partagés qui permettent d’inscrire d’une part, et de décoder de l’autre la signification qui est intégrée à même le mortier des objets qui forment la ville. Les types contribuent à donner du sens à l’architecture, à la rendre signifiante. Or, si notre mission est de développer une science de l’interprétation de l’architecture, il m’apparaît plus qu’essentiel de comprendre la relation que celle-ci entretient avec la typologie. Autrement dit, si nous avons écarté le langage comme fondation épistémologique d’une herméneutique de l’architecture, les types m’apparaissent être une pierre angulaire prometteuse où ériger cette herméneutique.

Tracer les contours d’une herméneutique de l’architecture

Nous comprenons donc maintenant l’intérêt d’identifier les outils épistémologiques et méthodologiques d’une herméneutique de l’architecture. En effet, les édifices en tant que produits sociaux, mais aussi comme porteurs d’institutions, opèrent dans un royaume purement symbolique et parle de et à la société dans son ensemble. C’est d’ailleurs parce que l’architecture est une manifestation de la richesse symbolique humaine qu’elle est un lieu si prospère d’investigation de la signification et de l’intentionnalité. Ainsi, l’étude de l’architecture telle que nous l’avons postulée différerait-elle, de celle de l’ingénierie dans la mesure où elle s’intéresserait d’abord et avant tout au caractère symbolique des édifices et non à leurs qualités purement physiques.

Or, bien qu’en opérant de façon signifiante, l’architecture ne le fait probablement pas dans un système symbolique langagier. En effet, le débat entourant l’assimilation de l’architecture à une langue naturelle fait rage depuis si longtemps qu’il nous parait sans issue. C’est donc ailleurs que nous devons chercher l’opérationnalité symbolique de l’architecture. Il est certainement impossible de remettre en doute la valeur signifiante des édifices, mais celle-ci ne se trouve pas dans un énoncé syntaxique clair qui permettrait la communication directe d’un discours. Elle se trouve plutôt dans la relation que les objets architecturaux entretiennent avec leur réalité sociohistorique. Autrement dit, c’est dans le dialogisme qu’ils entretiennent avec la société que se trouve l’intérêt d’une potentielle herméneutique de l’architecture. C’est pour déceler l’intentionnalité de l’architecture que nous entreprenons cette aventure. Or, cette intentionnalité nait d’intégrations symboliques (intentionnelles ou non) par les auteurs du projet, mais aussi par la réception qu’en fait la collectivité et la valeur symbolique qu’il lui accorde. C’est parce que les acteurs d’un projet et la société partagent des bases symboliques communes que les édifices peuvent être interprétés, et éventuellement acceptés socialement.

Nous avons pu proposer comme avenue d’exploration des bases signifiantes collectives les types architecturaux. Ces types s’élèvent d’ailleurs en concepts dans la mesure où ils sont l’internalisation de caractéristiques partagées entre des bâtiments analogues qui nous permettent d’en discerner les grandes lignes et d’en manipuler la fonction (pragmatique ou culturelle). Or, cet établissement de types formés par l’accentuation de redondances entre des bâtiments de même fonction ou de même contexte nous permet de mieux saisir la puissance que ceux-ci possèdent ; c’est cette puissance d’évocation qui permet d’assurer aux individus la compréhension de l’architecture. Ainsi, la conceptualisation de ces bâtiments analogue en types crée des objets de second ordre comme le dirait Cassirer (1977) au sujet des concepts :

Aux objets de la perception sensible que nous pouvons qualifier d’« objets de premier ordre » s’opposent désormais des « objets de second ordre » dont la spécificité logique n’est déterminée que par la forme de la combinaison d’où ils procèdent.

Mais loin d’être seulement des objets méthodologiques, ces types participent aussi à la formation d’une doxa de l’architecture, c’est-à-dire, d’une appréciation collective de l’environnement bâti qui établit des normes de pratiques tacites, voire même formalisées à travers des règlementations. C’est cette même doxa qui forme l’opinion publique entourant les projets architecturaux. Autrement dit, c’est parce que les propositions architecturales correspondent à des référents symboliques partagés, notamment par le biais des types que la collectivité donne son aval pour leur réalisation.

Nous avons donc devant nous la silhouette d’une étude de l’architecture fondée sur ces rapports symboliques partagés qui se trace à travers le rapport que l’environnement bâti entretient avec l’opinion publique, elle-même en partie formée par la typologie. D’ailleurs, Gadamer (1976) nous encourage à chercher dans cette doxa le lieu de l’interprétation :

C’est se rendre à une évidence immédiate que de fonder les études philologiques et historiques, de même que le mode de travail des sciences de l’esprit sur cette conception du sensus communis. Car il commande de manière décisive l’objet de ces sciences, l’existence morale et historique de l’homme [sic], tel qu’elle prend forme dans ses actions et ses œuvres.

Bien que l’herméneutique de l’architecture dont nous tentons de délimiter la forme ne saurait se limiter à cette seule interprétation des types, l’enquête des concepts formés par ceux-ci nous offre une avenue prometteuse à l’interprétation du cadre bâti. Ainsi, à l’instar de l’herméneutique gadamérienne, nous pouvons, à partir de la typologie architecturale, faire la généalogie des concepts types et en extraire les relations dialogiques avec les régimes symboliques. Autrement dit, tenter, à l’aune de l’identification des contextes sociaux d’où les types émergent, comprendre les liens qu’entretiennent les bâtiments avec les traditions et leur contexte sociohistorique. C’est ici que réside toute la valeur d’une potentielle herméneutique de l’architecture : dans la compréhension, grâce à l’interprétation, du dialogisme entre architecture et société qui nous permet de mieux saisir l’intentionnalité de l’architecture. C’est par l’investigation des régimes symboliques qui s’articulent autour de la production et de la réception des édifices que nous sommes le plus à même de saisir les forces sociales à l’œuvre à l’intérieur des bâtiments. D’ailleurs, comme insisterait Gadamer, (1976) « l’investigation la plus précise, l’étude la plus méticuleuse d’une tradition ne suffisent pas si l’on n’a pas déjà été préparé, à y accueillir l’altérité de l’œuvre d’art ou du passé ».

Autrement dit, les contours de l’herméneutique de l’architecture se tracent à cet endroit où nous rencontrons les autres qui ont expérimenté et expérimenterons un édifice ; c’est à l’intérieur d’une signification partagée que nous attribuons à notre environnement bâti que se trouve le vrai sens de l’architecture.

1 La version anglaise du texte de G. Ponti utilise le terme, difficile à traduire, de « finite » pour exprimer cette circonscription de la forme.

2 Cette dichotomie tranchée, presque caricaturale, est néanmoins nuancée dans l’ouvrage de G. Ponti, citant des exemples de gratte-ciels, notamment

3 Un exemple parlant de ces guerres de disciplines est sans aucun doute la construction du Crystal Palace, en 1951, à Londres, pour abriter la

4 D’ailleurs, je nous propose de distinguer ici l’étude de l’architecture à la pratique de l’architecture. La première est, en mon sens (et dans celui

5 Trad. Libre : « L’architecture est un langage et je crois que vous devez avoir une grammaire pour avoir un langage, et si vous êtes doués, vous

6 Trad. libre : « un édifice est une œuvre d’art dans la mesure où il signifie, exprime, réfère ou symbolise d’une quelconque façon ».

7 Venturi, dans son célèbre travail Learning from Las Vegas identifie deux formes de bâtiments : le canard ( duck) et le hangar décoré (decorated shed

8 Trad. libre : « les édifices ne sont pas des textes, ou des photos et ne décrivent ni ne dépeignent pas ».

9 Trad. libre : « L’architecture signifie dans le sens fondamental d’indiquer l’existence (présente ou future) et la nature de ses concepteurs. Elle

10 Trad. libre : « Si l’architecte nous parle à travers ses bâtiments, c’est une façon remarquablement maladroite de le faire. Nous ne sommes même pas

11 Trad. libre : « Si c’était vrai que l’architecture est un langage (ou, peut-être, une série de langages), alors nous saurions comment comprendre

12 Trad. libre : « Néanmoins, la polarité du code et du message offre une approche utile, voir indispensable au problème de la signification de l’

13 Le concept est ici repris de Gadamer dans Vérité et Méthode où, parlant de l’Expérience de l’Art, il trace l’histoire conceptuelle du sens commun

14 À ce chapitre, Gadamer nous fait comprendre que l’expérience sensible du monde n’est pas un acte neutre, mais bien un acte formateur. Or, pour lui

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Crowe Norman, 1984, « Studies in Typology », Journal of Architectural Education, 38(1), 10‑13, DOI : 10.1080/10464883.1984.10758346

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Zumthor Peter, 2021, Atmosphères : environnements architecturaux — ce qui m’entoure (6e éd.), Birkhäuser.

Notes

1 La version anglaise du texte de G. Ponti utilise le terme, difficile à traduire, de « finite » pour exprimer cette circonscription de la forme.

2 Cette dichotomie tranchée, presque caricaturale, est néanmoins nuancée dans l’ouvrage de G. Ponti, citant des exemples de gratte-ciels, notamment ceux de Mies van der Rohe, relevant davantage de l’architecture, et d’œuvre d’architectes dont les formes ne permettent pas, selon cette caractérisation, d’être qualifiée d’architecturale.

3 Un exemple parlant de ces guerres de disciplines est sans aucun doute la construction du Crystal Palace, en 1951, à Londres, pour abriter la première des expositions universelle. Plutôt que de commissionner un édifice monumental à un architecte, une commission mandatât l’ingénieur Joseph Paxton pour construire l’édifice qu’on jugeait le mieux représenter la grandeur industrielle de l’Angleterre et qui était alors l’équivalent d’une serre de fonte et de verre.

4 D’ailleurs, je nous propose de distinguer ici l’étude de l’architecture à la pratique de l’architecture. La première est, en mon sens (et dans celui de la présente réflexion) un travail d’analyse et d’interprétation de l’objet construit plutôt que sa conception et sa production. Bien entendu, les deux travaux vont de pairs et il serait certainement possible de voir que dans la pratique de l’architecture, l’architecte en fait aussi l’étude et que dans la réalité de la profession, les deux s’harmonisent dans une proportion variable.

5 Trad. Libre : « L’architecture est un langage et je crois que vous devez avoir une grammaire pour avoir un langage, et si vous êtes doués, vous parlez une merveilleuse prose, et si vous êtes vraiment doués, vous pouvez être un poète ». Cette citation est issue d’une entrevue où l’architecte revient sur sa carrière et sur l’histoire du Bauhaus, dont il a été le troisième et dernier directeur, et ce jusqu’à la montée du nazisme et son départ vers les États-Unis.

6 Trad. libre : « un édifice est une œuvre d’art dans la mesure où il signifie, exprime, réfère ou symbolise d’une quelconque façon ».

7 Venturi, dans son célèbre travail Learning from Las Vegas identifie deux formes de bâtiments : le canard ( duck) et le hangar décoré (decorated shed). Le premier étant la forme assimilée au symbole, alors que le second étant le symbole appliqué en pastiche sur une forme quelconque. Entre ces deux pôles, tous les bâtiments oscillent dans leur mode de représentation symbolique.

8 Trad. libre : « les édifices ne sont pas des textes, ou des photos et ne décrivent ni ne dépeignent pas ».

9 Trad. libre : « L’architecture signifie dans le sens fondamental d’indiquer l’existence (présente ou future) et la nature de ses concepteurs. Elle opère comme index (dans la terminologie de Peirce) dans un cadre de causalité ou d’existentialité : la fumée indique le feu, des nuages peuvent indiquer la pluie, et ainsi de suite. De la même façon, un édifice pour nous indiquer ses usages et ses fonctions (à dessein ou par acquisition) ».

10 Trad. libre : « Si l’architecte nous parle à travers ses bâtiments, c’est une façon remarquablement maladroite de le faire. Nous ne sommes même pas sûrs de quel genre de choses il tente de nous parler, ou si c’est bien lui qui nous parle. Une fois de plus, il n’est pas clair de quelle grammaire ou vocabulaire il s’agit. Ni s’il est possible de la “traduire” d’une langue à une autre ».

11 Trad. libre : « Si c’était vrai que l’architecture est un langage (ou, peut-être, une série de langages), alors nous saurions comment comprendre tout bâtiment, et la signification humaine de l’architecture ne serait plus une question. D’autant plus, la signification ne serait pas vue comme une propriété intrinsèque des bâtiments, pas plus qu’une relation externe ou fortuite ».

12 Trad. libre : « Néanmoins, la polarité du code et du message offre une approche utile, voir indispensable au problème de la signification de l’architecture ».

13 Le concept est ici repris de Gadamer dans Vérité et Méthode où, parlant de l’Expérience de l’Art, il trace l’histoire conceptuelle du sens commun en le rattachant à la fois à une base symbolique commune permettant la médiation et l’actualisation entre les individus, et le fondement d’un jugement moral de ce qui est bon et beau. Citons d’ailleurs un extrait : « Et, ce qui nous importe, c’est qu’ici, de toute évidence, sensus communis ne signifie pas seulement faculté universelle présente en tout homme [sic], il s’agit au contraire du sens qui fonde la communauté de vie » (Gadamer et al., 1976).

14 À ce chapitre, Gadamer nous fait comprendre que l’expérience sensible du monde n’est pas un acte neutre, mais bien un acte formateur. Or, pour lui, cette formation crée la conscience, et cette conscience est elle-même le fruit de l’immédiateté des sens. Nous pouvons donc déduire que notre évolution continue dans des bâtiments est, par cette immédiateté des sens un centre névralgique de la formation de notre conscience, et donc, de notre jugement esthétique (Gadamer et al., 1976).

Citer cet article

Référence électronique

James Luca Pinel, « De l’herméneutique de l’architecture : L’interprétation des typologies architecturales au cœur du sens commun », PasserelleSHS [En ligne], 3 | 2025, mis en ligne le 17 décembre 2024, consulté le 10 mars 2025. URL : https://ouest-edel.univ-nantes.fr/passerelleshs/index.php?id=333

Auteur

James Luca Pinel

Université du Québec à Montréal.
James Luca Pinel est titulaire d’une maîtrise (Master) professionnelle en architecture de l’université de Montréal et pratique comme architecte depuis 2020. Depuis 2022, il a entrepris des études doctorales transdisciplinaires en sociologie à l’université du Québec à Montréal où il s’intéresse aux questions d’interprétation de l’architecture par les collectivités et aux médiations socio-symboliques qui interviennent entre l’environnement bâti et la société. Sa démarche explore notamment le caractère heuristique de la recherche-création en architecture et examine comment l’architecture imaginée contribue à la diffusion de connaissances sociologiques sur notre environnement bâti.

pinel.james_luca@courrier.uqam.ca

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